Ce mardi 20 mars, Eric Bocquet a interrogé Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé, quant à l’état sanitaire du Valenciennois, suite aux études qui ont été réalisées et aux rencontres que Michelle Gréaume et Eric Bocquet ont sollicitées avec les acteurs de la santé et la population du territoire.
Retrouvez ci-dessous la vidéo et le texte de cet échange.
Madame la Présidente,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,
Cette question est consécutive à une visite que nous avons effectuée, ma collègue Michelle Gréaume ici présente et moi-même, dans le Valenciennois il y a quelques temps, arrondissement du département du Nord où nous avons rencontré des professionnels de santé, des personnels soignants et non-soignants, des syndicalistes et des patients.
Ils nous ont confirmé, ainsi que de récentes études le montrent, l’état sanitaire alarmant de ce territoire et de ses habitants. Un seul chiffre : 31% de surmortalité par rapport à la moyenne nationale, plus encore pour certaines pathologies. Triste palmarès que certains professionnels qualifient de véritable épidémie. La population paie là un lourd tribut lié, bien sûr, au passé industriel et minier, mais aussi à la situation économique et sociale du moment. Conséquence, les malades consultent tard, parfois trop tard, et le manque de médecins, de spécialistes, de personnels paramédicaux constitue un obstacle supplémentaire à une situation reconnue déjà comme difficile. Dans ce territoire plus qu’ailleurs, les politiques d’austérité font particulièrement mal, alors qu’il faudrait là un véritable plan de rattrapage sanitaire. Un plan global, qui améliore l’accueil des malades et les soins apportés, mais surtout qui s’attaque aux racines du mal, c’est-à-dire aux inégalités socio-économiques et à la prévention dès le plus jeune âge.
L’hôpital public a, dans ce domaine, un rôle évidemment central à jouer. Nous voulons saluer ici l’implication des professionnels du centre hospitalier de Valenciennes, leur opiniâtreté à refuser tout fatalisme. Ils effectuent un travail admirable mais dans des conditions de plus en plus difficiles, voire précaires. Beaucoup nous ont dit leur souffrance, leurs difficultés, qui touchent toutes les catégories de personnel sans exception. Ils nous ont dit leur crainte de nouvelles suppressions de lit, voire de fermeture d’établissements ou de services, comme c’est le cas pour les urgences de l’hôpital de Denain. Ils nous ont dit les conséquences quotidiennes du manque de moyens financiers et humains, d’un management obnubilé par l’obligation de rentabilité, la chasse aux dépenses jugées inutiles entre guillemets, la recherche permanente de la moindre économie ; et, au final, malgré tous leurs efforts, leur désarroi et leur colère souvent de voir la qualité des soins apportés aux malades se dégrader.
Madame la Ministre, la situation appelle une réponse et des moyens d’ampleur à hauteur de la situation. Elle nécessite, selon nous, un plan de rattrapage, que nous vous demandons de mettre en place au plus vite et dans la plus large concertation. Merci.
Réponse de la Ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn :
Monsieur le Sénateur Bocquet,
Comme vous le savez, nous avons à gérer aujourd’hui une diminution de la démographie médicale, qui n’a malheureusement pas été anticipée par les gouvernements successifs depuis une vingtaine d’années. Alors, vous m’interpellez sur l’accès aux soins, plus particulièrement sur l’accès aux soins autour du centre hospitalier de Valenciennes. Peut-être pour revenir plus spécifiquement sur cet établissement, il s’agit d’un établissement polyvalent, de recours, du territoire de santé du Hainaut et de proximité pour le Valenciennois. Et le centre hospitalier de Valenciennes fait preuve d’une maîtrise médico-économique depuis plusieurs années. Les exercices 2016 et 2017 ont été portés par une forte dynamique d’activité, et ce sont clôturés avec un excédent respectivement de 4,6 millions d’euros et de 2 millions d’euros en ce qui concerne l’année 2017. L’établissement bénéficie aussi d’aides à l’investissement à hauteur de 10 millions d’euros par an, dont 800 000 euros pour la réorganisation de ses activités de psychiatrie avec la construction d’un nouveau bâtiment.
S’agissant de ses effectifs, une augmentation des équivalents temps plein médicaux et non-médicaux est observée sur les trois derniers exercices, avec une augmentation de 6% pour le personnel paramédical, et de 10% pour le personnel médical. En vue de répondre aux besoins de la population, vous l’avez souligné une population en difficulté, le capacitaire de l’établissement a augmenté sur la période, sur les lits de médecine, les lits de chirurgie, en hospitalisation, et également sur les lits de prise en charge ambulatoire. Le nombre de lits et places en obstétrique, psychiatrie, soins de suite et réadaptation est, quant à lui, stable. Le centre hospitalier de Valenciennes contribue donc largement et participe largement à l’accès aux soins, et il est accompagné.
Pour remédier aux difficultés que rencontrent nos concitoyens en matière d’accès aux soins, vous le savez, il n’y a pas une réponse miracle, mais un panel de solutions. L’accès aux soins doit évidemment reposer sur le fait d’accéder à des médecins en ville, mais pas uniquement sur l’installation de médecins mais sur une organisation coordonnée de tous les professionnels de santé d’un territoire. Un programme d’investissement de 400 millions d’euros est en cours, plus de 200 millions d’euros d’aides conventionnelles sont prévues pour aider les professionnels dans les zones sous-dotées, nous facilitons aussi le cumul emploi-retraite des médecins libéraux, mais surtout j’ai lancé la transformation du système de santé au mois de février dont le 5ème chantier concerne les organisations territoriales entre l’hôpital, la médecine de ville, le secteur privé et le secteur public.
Donc Monsieur le Sénateur, nous faisons le nécessaire pour apporter des réponses aux usagers, aux élus. La stratégie de transformation du système de santé viendra, j’espère, conforter nos actions. Qualité et pertinence des soins, ainsi que accès aux soins équitable doivent être la boussole de notre système de santé.
Réplique d’Eric Bocquet
Madame la Ministre, je pense qu’il faut accélérer la cadence, et renforcer vraiment une réelle prise en compte de la situation particulière de l’arrondissement de Valenciennes, qui est, à beaucoup d’égards, sinistré sur le plan sanitaire. Alors, le temps qui nous est imparti ce matin ne permet pas d’aborder tous les aspects, mais vous parlez d’un panel de solutions, mais je crois qu’il y a d’abord la question des préventions.
Je me permettrai de vous adresser, en complément de cette question orale, une question écrite sur deux thématiques : tout d’abord la prévention, qui, selon nous, commence à l’école. Le CESE vient de publier un rapport sur le manque de moyens criant de la médecine scolaire, qui est obligée de se concentrer sur l’urgence. Ainsi, notre académie de Lille dispose en tout et pour tout de 80 postes de médecins scolaires, et 40 d’entre eux ne sont pas pourvus faute de postulants. Voilà une première problématique sur laquelle je me permettrai de vous interroger.
La deuxième est relative à la santé au travail dans un territoire comme celui-là, et ce territoire du Valenciennois est encore très industrialisé. Aussi, je vous interrogerai pour savoir quelles mesures concrètes vous pouvez apporter pour revaloriser la médecine du travail, qui est peu attractive aujourd’hui nous dit-on, tant dans ses missions et ses prérogatives qu’en termes d’effectif car, si rien n’est fait, notre pays ne comptera plus que 2500 médecins du travail à l’horizon 2020, c’est demain, pour 17 millions de salariés. Merci.
Les questions écrites
Comme ils s’y étaient engagés lors de cette allocution, Michelle Gréaume et Eric Bocquet ont fait parvenir au Ministre de l’Education Nationale et à la Ministre du Travail des questions écrites complémentaires, relatives aux questions de santé et d’éducation à la santé dans notre département du Nord.
- La première question, adressée au Ministre de l’Education Nationale, concerne la pénurie alarmante de médecins scolaires dans notre département :
M. Eric BOCQUET attire l’attention de Monsieur le Ministre de l’Education Nationale sur la situation inquiétante de la médecine scolaire.
Un rapport de l’Académie Nationale de Médecine du 24 octobre 2017 est particulièrement alarmant.
La médecine scolaire se trouve dans une situation critique avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur les élèves. Il y a eu un effondrement du nombre de médecins de l’éducation nationale de l’ordre de 20 % de 2008 à 2016.
En 2016, l’Education Nationale comptait ainsi 1 035 médecins pour plus de 12 millions d’élèves. Et cette situation difficile risque de se dégrader, car l’âge moyen des médecins est de 54,8 ans.
De nombreuses visites médicales passent à la trappe et des problèmes de santé sont détectés parfois très tardivement, pénalisant d’autant plus les familles les plus modestes ou celles vivant dans les territoires ruraux qui souffrent déjà de la désertification médicale.
Le rapport de l’Académie de Médecine indique qu’en moyenne seuls « 57 % des enfants ont eu un examen de santé pratiqué par un médecin ou par une infirmière en 2015 ».
Nous le voyons bien, les conséquences de la non prise en charge des troubles des apprentissages peuvent être dramatiques.
Notons encore que la profession n’est pas attractive en termes de traitement, de conditions de travail et de faible reconnaissance professionnelle. 270 postes de titulaires restent aujourd’hui vacants et l’on compte des départements ruraux qui n’ont plus de médecins scolaires. Dans le département du Nord, l’Inspection Académique annonce la vacance de 40 postes de médecins scolaires sur un total de 80.
La pénurie est telle que des communes comme Paris, Nantes ou Lyon, ont recruté des « médecins scolaires municipaux » pour leurs écoles maternelles et élémentaires. Voilà d’ailleurs là une nouvelle démonstration des transferts de charges « déguisés » de l’Etat vers les collectivités locales.
L’avenir de la santé à l’école est donc menacé et pourrait s’apparenter demain, si rien n’est fait, à un scandale sanitaire.
Il est rappelé que Monsieur le Ministre a reconnu cette difficulté devant l’Assemblée Nationale et qu’il propose de mobiliser des médecins non scolaires.
Or, cela reste très ponctuel et ne résout pas le problème dans la durée. Surtout, « on déshabille une nouvelle fois Pierre pour habiller Paul ».
La médecine scolaire doit s’inscrire dans une véritable politique de santé publique qui car elle est un maillon essentiel de la politique de prévention.
Son rôle est essentiel au sein de l’établissement dans le cadre de l’identification des troubles du développement, du langage ou de l’apprentissage, de la prévention mais aussi pour les mesures d’intégration des élèves souffrant d’un handicap ou d’une maladie chronique.
Face à ce constat particulièrement inquiétant, il est demandé à Monsieur le Ministre de l’Education Nationale de préciser quelles sont les actions pérennes qui seront mises en œuvre pour remédier à cette difficulté et pour pourvoir au manque alarmant de médecins scolaires dans les établissements ?
- La seconde question est adressée à la Ministre du Travail, et concerne le manque de médecins du travail dans le Nord.
M. Eric BOCQUET attire l’attention de Madame la Ministre du Travail sur le manque criant de médecins du travail.
Notre pays ne compte que 4 858 médecins du travail pour 18 millions de salariés dans le secteur privé. Bien trop peu pour qu’ils mènent à bien leurs missions et une vraie médecine préventive.
En 10 ans, notre pays a perdu 30 % du nombre de médecins du travail et aujourd’hui, 75 % des médecins du travail ont plus de 55 ans.
Sans compter la dévalorisation de cette fonction qui manque cruellement de moyens, est souvent sous pression et la crise de vocation qui en découle. Il y a en moyenne plus de 300 départs pour moins de 100 entrants par an en médecine du travail.
La pénurie est patente et va s’aggraver dans les années à venir touchant tous les services interentreprises de santé au travail.
Les médecins sont aujourd’hui malheureusement placés dans l’impossibilité d’observer les prescriptions règlementaires, avec toutes les conséquences négatives voire dramatiques et irréversibles que cela peut avoir sur les salariés.
Rappelons que les accidents du travail entraînent plus de 90 000 arrêts de travail par an et les maladies professionnelles restent plus que jamais un problème bien réel.
Cela est d’autant plus problématique que depuis le 1er janvier 2018, hormis pour les postes à risques, la visite d’embauche par le médecin du travail est remplacée par une visite d’information et de prévention, et le suivi médical a lieu tous les 5 ans, contre 2 ans auparavant.
Or, la médecine du travail doit avoir les moyens d’agir pour préserver la santé physique et morale des travailleurs et a un rôle préventif essentiel.
Il est donc demandé à Madame la Ministre quelles mesures compte prendre le Ministère du Travail pour mettre fin à la pénurie de médecins du travail et pour que la médecine du travail puisse continuer à jouer son rôle de médecine préventive au service exclusif des salariés ?