Lire l’exposé des motifs de la Proposition de loi
Depuis le mois de septembre 2021, nous connaissons un emballement historique des prix de l’énergie, qui ne reflète en rien les coûts réels de production du mix énergétique français.
Bien avant le contexte que nous connaissons aujourd’hui, le prix du gaz a connu une succession d’augmentations. Pour l’année 2021, ce sont +10% en juillet 2021, +5% en août 2021, +8,7% en septembre 2021, +12,6% en octobre 2021, +15% au 1er novembre 2021. Depuis le printemps 2022 et le déclenchement de la guerre en Ukraine, les prix du gaz sur le marché connaissent désormais une hausse record atteignant jusqu’à 345 euros le MWh en août. Ces derniers se stabilisent désormais autour de 150 euros le MWh pour l’automne 2022, contre 38 euros le MWh à la même époque l’an dernier.
Face à cette évolution, le bouclier tarifaire n’a pas su contenir la hausse pour tout le monde. En effet, seuls les tarifs réglementés du gaz ont été gelés ; pour les consommateurs, les collectivités et entreprises qui n’en bénéficient pas, la hausse des prix a bel et bien été un choc.
Le constat est le même pour les prix de l’électricité qui connaissent une hausse continue depuis plus de 10 ans (+52% sur cette période). Comme pour le gaz, les prix continuent de flamber : au mois d’août, le prix de l’électricité a même atteint 1 000 euros le MWh alors qu’il était de 40 euros au début de l’année 2021.
Cette hausse historique n’est donc pas seulement conjoncturelle ; elle est l’aboutissement d’un processus que la crise actuelle a accéléré.
Bien évidemment, de nombreux facteurs conjoncturels concourent à la situation que nous vivons aujourd’hui. Le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’été caniculaire, la sécheresse affectant lourdement nos barrages hydrauliques, ou encore la mise à l’arrêt de la moitié de nos centrales nucléaires. Les aspects structurels ne doivent néanmoins pas être négligés. La libéralisation du secteur de l’énergie, l’extinction progressive des tarifs réglementés, et la construction du marché européen liant le prix de l’électricité à celui du gaz - dont la part est très marginale dans notre mix électrique national - nous conduisent à l’emballement des prix que nous connaissons aujourd’hui. Celui-ci touche de plein fouet les usagères et usagers - dont 12 millions sont déjà en situation de précarité énergétique - ais également les entreprises, et les collectivités territoriales.
Pour ces dernières, qui ne bénéficient pas des tarifs réglementés et qui ne pourront pas faire face à une augmentation comprise entre 30 à 300 % pour l’électricité comme pour le gaz.
Pour plus de 90 % des petites villes, il ne faudra pas seulement choisir entre fermer plus souvent la salle des fêtes, la piscine, ou baisser le chauffage dans les écoles. Il faudra aussi renoncer à faire fonctionner certains équipements sportifs ou restreindre l’éclairage public nocturne. Des impacts sont aussi à craindre sur le traitement de l’eau et la gestion des déchets, pour ne citer que quelques exemples parmi les missions de service public les plus énergivores.
Beaucoup d’élus s’y refusent, mais à quel prix et combien de temps tiendront-ils encore ?
Aujourd’hui, tous les services publics locaux essentiels sont mis en danger. Les prévisions budgétaires de ces communes devront être réorganisées afin de prévoir sur ce poste de fonctionnement une dépense parfois trois à quatre fois supérieure à celle de l’année précédente. Concrètement, certaines communes se retrouvent avec un coût supplémentaire pouvant aller jusqu’à plusieurs millions d’euros.
Les communes ne sont pas les seules concernées. Pour certaines régions et départements, cette hausse pourrait atteindre plusieurs dizaines de millions d’euros en raison de la facture d’énergie des lycées, des collèges et des bâtiments administratifs. Tous les échelons seront confrontés aux mêmes difficultés. Les exemples sont variés et concernent l’ensemble du territoire.
Dans ce contexte d’envolée des prix, la part importante du budget consacré aux dépenses énergétiques par les collectivités atteint des proportions qu’il leur est impossible d’absorber. Baisser le chauffage d’un degré dans les écoles ne diminuera pas assez la facture et risque de porter préjudice aux enfants. Il en va de même pour les bibliothèques, centres sportifs, piscines et crèches, EHPAD publics, et l’ensemble des publics reçus dans ces établissements.
Sans recettes supplémentaires, les élus locaux n’auront pas d’autres choix que de limiter d’autres postes de dépenses.
Cette situation est intenable. Elle intervient, par ailleurs, dans un contexte budgétaire toujours marqué par une asphyxie financière des collectivités qui ont subi des baisses drastiques de dotations de fonctionnement la suppression d’impôts locaux à pouvoir de taux, et l’impact de la crise sanitaire sur leurs finances.
De plus, le gouvernement a enfin pris la décision d’augmenter le point d’indice des fonctionnaires, une mesure plus que nécessaire après des années de blocage. Cette décision représente, toutefois, une dépense supplémentaire estimée à plus de 2,28 milliards d’euros pour les collectivités territoriales.
Sans action de l’État, ce raz-de-marée se répercutera inévitablement sur le quotidien des citoyennes et citoyens : hausse d’impôts d’un côté ou baisse de l’offre de services de l’autre. Aucune de ces solutions n’est satisfaisante.
L’annonce d’un gel des prix du tarif réglementé de vente de gaz (TRVG), la baisse annoncée de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICPE), ainsi que l’obligation pour EDF de vendre plus d’électricité à bas coût aux fournisseurs concurrents pour limiter la hausse, ne suffira pas à enrayer cette spirale haussière.
En effet, si 60% des particuliers ont accès aux tarifs réglementés de vente sur l’électricité, seules les petites collectivités de moins de 10 salariés et dont les recettes sont inférieures à 2 millions d’euros y sont encore éligibles. Depuis 2015, les autres collectivités doivent recourir à des offres de marché sur des contrats d’un à trois ans. Concernant le gaz, la conclusion de nouveaux contrats aux tarifs réglementés de vente n’est désormais plus accessible aux collectivités ; quant aux collectivités dont le contrat est toujours en cours, celles-ci seront concernées par l’extinction définitive des TRVG, prévue le 30 juin 2023.
Il faut également noter qu’elles doivent faire face à la faillite de nombreux fournisseurs, ce qui les oblige à se tourner vers EDF qui a été désigné comme fournisseur de secours mais qui applique aux collectivités les prix du marché de gros dont le seul arbitrage se fait au gré de l’offre et de la demande.
Au regard de ces éléments, les collectivités locales ne disposent, aujourd’hui, d’aucune possibilité d’absorber ces augmentations, sauf à les répercuter sur les usagers des services publics et les contribuables locaux. Dans un contexte de forte tension sur les dotations aux collectivités et de déperdition de leur autonomie fiscale, cette pression supplémentaire sur les finances locales ne laisse aucune autre option.
Afin de préserver les services publics mais aussi les investissements locaux essentiels à la reprise économique et à la transition écologique, nous considérons que l’établissement d’un bouclier tarifaire est nécessaire pour toutes les collectivités.
Dans un contexte de forte volatilité des prix du marché de gros de l’électricité et parce que l’énergie est un produit de première nécessité non substituable, il est impératif que les collectivités locales et les groupements qui le souhaitent puissent revenir au tarif réglementé de vente de l’électricité et que ce dernier soit pérennisé.
Il est également nécessaire que le principe de contestabilité ainsi que la méthode de calcul de ce dernier soient abandonnés. Ce fonctionnement, construit sur l’empilement des coûts, a pour seul objet d’établir une concurrence tarifaire effective sur le marché de détail de l’électricité. Le bilan de ce mécanisme offre un constat sans équivoque : seuls les fournisseurs alternatifs en ont bénéficié.
Pourtant, comme le souligne l’Autorité de la concurrence, aucun débat public n’a véritablement eu lieu sur l’évolution des TRV vers un prix plafond. La loi leur assigne toujours une fonction de cohésion sociale et territoriale et les textes issus de la loi NOME laissent une grande latitude d’interprétation, non seulement quant aux nouveaux objectifs que devraient poursuivre les TRV mais également quant à la méthode d’établissement du tarif.
La crise que nous traversons nous invite à nous remémorer la finalité première des TRV : la protection des usagers, de tous les usagers.
Nous rappelons, par ailleurs, que dans sa décision n°370321 du 19 juillet 2017, le Conseil d’État, tirant les conséquences de la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 7 septembre 2016, a précisé les conditions dans lesquelles une entrave à la réalisation d’un marché concurrentiel du gaz pouvait être admise. Celle-ci doit répondre à un objectif d’intérêt économique général, garantir la cohésion territoriale ou le maintien des prix à un niveau raisonnable, et ne porter atteinte à la libre fixation des prix que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation de cet objectif, durant une période limitée de temps.
Dans le contexte que nous traversons, le rétablissement des TRV s’inscrirait précisément dans ces cas d’exception prévus par la CJUE et le Conseil d’État. Tout comme l’annulation de l’extinction des TRVG.
La réglementation des tarifs de l’électricité s’est historiquement justifiée par la nécessité de préserver la compétitivité économique des entreprises, le pouvoir d’achat des ménages et l’égalité territoriale et ce, dès sa mise en place dans la loi de 1946 ayant institué un service public de l’énergie. Elle est la marque de l’intervention publique dans un secteur hautement stratégique et serait, dans la période, un nécessaire engagement de l’État pour préserver les collectivités territoriales.
Dans cette perspective, nous proposons dans un article 1er de rendre éligible l’ensemble des collectivités territoriales au bouclier tarifaire, par l’accès à un tarif réglementé de vente de l’électricité décorrélé des prix du marché.
L’article 2 s’inscrit en cohérence avec cette mesure, en revenant sur l’extinction programmée du tarif réglementé de vente du gaz afin que les collectivités locales et les particuliers puissent continuer à en bénéficier.