Les dépenses militaires mondiales sont revenues à un niveau jamais atteint depuis la fin de la Guerre froide, entraînant de fait la hausse des ventes d’armes. Le commerce des armes, qui représentait 87 milliards de dollars en 2011, a atteint 112 milliards de dollars en 20201.
La guerre en Ukraine ouvre une ère très dangereuse. Le réarmement en Europe s’accélère, comme en Allemagne. Les tensions augmentent dans la zone indopacifique. Le droit international est dangereusement minoré. Pour notre part, nous affirmons notre attachement à la Charte des Nations Unies, et à son article 51 proclamant le droit des Etats à user de la légitime défense pour protéger leur intégrité territoriale, mais aussi le recours privilégié à la diplomatie et à la résolution pacifique des différends.
La circulation accrue des armes a un impact désastreux sur la stabilité mondiale : menaces sur les droits humains, risques de détournements et donc alimentation des trafics, de la criminalité, du terrorisme.
Rappelons aussi l’impact climatique de la production et de l’utilisation des armements : l’armée américaine génère 59 milliards de tonnes de CO2, un volume équivalent aux émissions annuelles du Portugal ou de la Suède.
Quel rôle joue la France ?
Les cinq plus gros fournisseurs (États-Unis, Russie, France, Chine, Allemagne) concentrent 77% des exportations (2017-2021). La France, 3ème exportateur mondial, a vu ses ventes exploser sur la période 2012-2021 (59% de hausse).
En 2021 un seuil historique est franchi en raison notamment des contrats de vente de Rafale, avec 28 milliards d’euros d’exportations. Le précédent record datait de 2015, lorsque 16,9 milliards d’euros de vente d’armes avaient été déclarés.
Ces ventes massives résultent d’orientations politiques peu débattues mais assumées :
« la France fait le choix de considérer que l’industrie de défense est une composante essentielle de son autonomie stratégique. Elle est aussi un facteur de compétitivité pour l’ensemble de l’économie. Elle joue un rôle majeur pour l’emploi industriel. Elle fonde aussi l’expression d’une ambition à la fois politique, diplomatique et économique ».
Ces dernières années, de nombreux scandales liés à la politique d’exportation française :
- livraison de matériels avec plusieurs Etats sous embargos de l’UE, de l’ONU ou de l’OSCE
- livraison de matériels à des Etats engagés dans des conflits où sont ciblées massivement les populations civiles (où sont donc commis des crimes de guerre)
- vente de dispositifs de surveillance (biens à double usage) à des Etats pratiquant régulièrement des atteintes massives aux droits humains (Libye, Qatar, Arabie Saoudite, Maroc...)
Dans la seule année écoulée, trois scandales majeurs ont émaillé l’actualité : - Novembre 2021 : Disclose révèle l’implication de dispositifs du renseignement français dans le repérage et la mise à mort d’opposants au régime par le pouvoir égyptien
- Avril 2022 : Une caméra thermique Thalès est retrouvée sur un char russe à Boutcha.
- Juin 2022 : plainte d’ONG contre Thalès, Dassault et MBDA pour complicité de crimes de guerre en raison de leur livraisons d’armes à l’Arabie Saoudite et aux Emirats arabes unis, engagés dans une guerre sanglante au Yémen.
La voix de la France sur la scène internationale est décrédibilisée par ces épisodes.
Les parlementaires sont mis devant le fait accompli et sommés de défendre les conséquences de décisions stratégiques lourdes auxquelles ils n’ont pas été associés, et bien souvent, dont ils n’ont même pas débattu.
L’exportation à tout-va n’est pas
un bon modèle économique et de défense
Le modèle économique de l’armement d’exportation est très inégalitaire. Les actionnaires sont très grassement rémunérés, comme l’a montré l’économiste Claude Serfati concernant le Rafale.
Il est malsain de parier le développement industriel de la France sur les commandes de l’étranger. Cela fait reposer nos capacités stratégiques et nos emplois sur les évolutions (de plus en imprévisibles) de la situation politique des Etats avec lesquels nous commerçons. Le dernier exemple en date, et le plus frappant, est l’annulation du « contrat du siècle » des sous- marins par l’Australie.
Enfin, un tiers de la production française va à l’importation, alors que dans le même temps nos forces armées pâtissent de graves manques en matière d’équipements (munitions notamment). Nous portons un modèle d’armée de défense du territoire correctement dotée et en capacité de mener ses missions dans une totale indépendance opérationnelle.
Contrôler les ventes d’armes est un impératif démocratique
La France est signataire de nombreuses conventions internationales interdisant ou limitant fortement certains types d’armes. Elle est aussi engagée par plusieurs régimes multilatéraux concernant les exportations : embargos de l’UE, de l’ONU, de l’OSCE, Code de conduite de l’UE, et bien sûr traité sur le commerce des armes (TCA) de 2013. Il est temps de mettre les actes de notre pays en conformité avec ses engagements internationaux,aujourd’hui régulièrement violés dans le cadre des exportations.
Les dispositifs de contrôle existants (licences d’exportation, Commission Interministérielle pour l’Étude des Exportations de Matériels de Guerre, contrôles de la DGA) sont tous placés entre les mains du pouvoir exécutif. Ils échappent très largement à la transparence et au débat contradictoire. Cela explique en grande partie les dérives constatées.
Le Parlement est mis à l’écart. Le rapport annuel qui lui est présenté ne comporte pas les données permettant un contrôle effectif, et il ne fait de toute façon l’objet d’aucun débat. Enfin, les assemblées sont empêchées de manière croissante d’accéder à l’information au motif du Secret Défense.
La société française attend très majoritairement ces évolutions. 72% des Français s’expriment en faveur d’un contrôle renforcé du Parlement sur les ventes d’armes. Ces attentes s’expriment aussi au sein des entreprises de l’armement. Dans les nouvelles générations d’ingénieurs mais pas seulement, l’environnement, les droits humains, la paix, constituent des préoccupations croissantes.
La France peut prendre exemple sur l’étranger
Aux États-Unis, le Congrès peut bloquer toute autorisation d’exportation par le biais d’une motion commune. Washington limite très fortement l’émission de licences globales au profit de licences individuelles, qui obligent à plus de contrôles.
Le Royaume-Uni a mis en place depuis 1999 un débat parlementaire sur la base du rapport annuel sur la politique d’exportation produit par le Gouvernement. Tous les trimestres, l’ensemble des données brutes sur les licences d’exportation est mise en ligne en accès libre sur le site du Gouvernement. Cette règle a également cours aux Pays-Bas.
L’Allemagne a mis en place depuis 1982 un contrôle du Parlement grâce à un débat suivi d’un vote sur le rapport annuel, et des auditions en amont par les commissions parlementaires de tous les acteurs concernés par un contrat de vente.
La Suède a établi la saisine automatique du Parlement dans le cadre de contrats majeurs
d’armement avec l’étranger. Par ailleurs, la politique d’exportation des armes fait l’objet de
deux rapports depuis 1985, un issu du Gouvernement et un de l’Inspectorat national des produits stratégiques, lié au Parlement.
Les mesures proposées
- Suite au rapport du Ministère de la Défense, organiser un débat annuel au Parlement
- Le rapport est rendu plus précis : ajout du matériel à finalité duale, des composants d’armes, ajout des destinataires et usages finaux des matériels exportés...
Article 2 : - Création d’une délégation parlementaire en charge du contrôle, composée de 6 députés et 6 sénateurs représentant les sensibilités politiques (+ les présidents de Commissions)
- Le gouvernement doit l’avertir sous 15 jours des licences accordées
- Création d’un droit de veto sur tout contrat.
- La délégation peut entendre les membres du gouvernement, le SG de la Défense ainsi que les représentants du personnel et organisations représentatives des entreprises exportatrices d’armements. Elle peut recueillir l’avis de toute personnalité qualifiée dans les domaines du droit international humanitaire, du droit international public ou de l’économie de la défense. - Les membres de la délégation reçoivent l’habilitation Secret Défense
Article 3 : - rôle renforcé des Commissaires du gouvernement dans leur mission de contrôle des entreprises exportatrices
Article 4 : Suppression des licences d’exportation globales, source d’opacité
Articles 5-8 : reprise du projet de loi de 2006 sur la violation des embargos, jamais promulgué - définition de la notion d’embargo dans le Code Pénal et prévoyant les peines applicables - exemptions d’usage dans le cas
- adaptation des Codes de procédure pénale et des Douanes en conséquence
Articles 9 et 10 : articles techniques (mise en œuvre, champ d’application, gage financier)