C’est la Présidente Eliane Assassi qui l’a soutenue dans l’hémicycle, au titre de deux arguments :
- D’abord, ce projet de loi est contraire à la Constitution car l’utilisation de l’article 47-1 de la Constitution est un artifice visant à limiter le temps du débat parlementaire.
- Ensuite, la méthode profondément antidémocratique utilisée par le gouvernement qui contraint le débat parlementaire n’est pas conforme à la Constitution.
Lire le texte de la motion d’irrecevabilité
Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Mes cher.e.s collègues,
« Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de sa situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
La lecture de ce 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 sonne, pour nous tous, à l’heure de légiférer sur une énième réforme de réduction du droit à une retraite digne, comme un rappel aux valeurs fondamentales de notre République, issues de notre histoire.
Le Préambule de 1946 fait partie intégrante de notre bloc de constitutionnalité avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ainsi que, bien entendu, la Constitution de 1958.
Il reprend de nombreux points du programme du Conseil National de la Résistance, qui a permis la naissance de la sécurité sociale et, sous la direction du Ministre communiste Ambroise Croizat, de la création du régime de retraite par répartition, qui perdure aujourd’hui encore, malgré les coups de boutoirs des partisans dogmatiques de la loi du marché.
Cette réforme des retraites, ou plutôt cette destruction programmée de la solidarité que porte la répartition - qu’Emmanuel Macron et son gouvernement tentent d’imposer à notre peuple - est profondément injuste.
Elle est injuste moralement.
Alors que, sur fond d’une inflation galopante, nos concitoyens se remettent à peine d’une crise sanitaire violente ; alors que notre peuple plonge progressivement dans une précarité dans le travail, mais aussi dans la vie quotidienne, du logement à l’accès aux soins ; alors que les uns et les autres sont frappés d’horreur par la guerre qui tue à nos portes, vous ne trouvez rien de mieux, Messieurs les Ministres, mais aussi Mesdames et Messieurs les parlementaires de la majorité présidentielle et sénatoriale, que de demander à nos concitoyens de travailler plus longtemps.
Quelle violence ! Quelle violence faite à ces salariés, souvent usés et pas seulement du fait de métiers jugés pénibles, qui devront travailler plus, y compris après des carrières bien longues.
Quelle violence ! Quelle violence faite aux femmes qui, du fait de leur parcours professionnel heurté ou d’une plus grande exposition au chômage partiel, devront travailler plus longtemps !
D’emblée, je dénonce les propositions que je juge pour ma part insultantes pour toutes les femmes de ce pays, émanant du Président Retailleau et du groupe Les Républicains. Sous prétexte de vous préoccuper de la cause des femmes, vous les enfermez, à quelques jours du 8 mars, dans un rôle de mère de plus grande famille possible, en instaurant une prime à la maternité.
Préoccupez-vous plutôt d’instaurer l’égalité salariale entre les deux sexes, cela assurera 6 milliards d’euros supplémentaires de cotisations sociales pour œuvrer contre tous nouveaux déficits à venir.
Quelle violence ! Quelle violence pour les jeunes, lycéens et étudiants et jeunes travailleurs qui, aujourd’hui, se sentent – à juste titre – condamnés à travailler jusqu’à un âge avancé, beaucoup estimant qu’ils n’auront jamais de retraite ! Il est de bon ton de se moquer de ces jeunes qui s’inquiètent de leur vieillesse. Mais mesurez-vous l’angoisse de la précarité, de la guerre, de notre planète qui s’abîme à un rythme fou ?
Votre projet, Messieurs les Ministres, face à l’état de notre société et du monde, relève de la provocation.
Il n’a pas de justification financière, comme le COR nous l’a démontré. Vous n’explorez aucun financement alternatif, ce qui n’est pas étonnant car forcément c’est désagréable au patronat et aux plus riches.
Et ce n’est pas étonnant car vous êtes dans votre monde, celui des comptables de Bruxelles et de Bercy.
Aujourd’hui, l’inquiétude populaire se transforme en colère. Des millions de citoyennes et de citoyens sont descendus dans les rues des petites, moyennes et grandes villes.
L’unité syndicale vous a surpris, mais elle est solide, elle tient et elle construit méthodiquement la levée de bouclier du 7 mars et des jours qui suivront.
Tous les actifs ou presque retoquent votre réforme. Une majorité des électeurs LR et centristes s’y opposent et cela, vous devriez l’entendre, Monsieur le Président du Sénat et Messieurs Retailleau et Marseille.
L’opinion publique ne recule pas… Non, elle exige le retrait de ce projet.
Mais plutôt que d’entendre la raison, comme l’ont fait certains de vos prédécesseurs, vous vous entêtez !
S’entêter, c’est mettre en danger la cohésion sociale, c’est fracturer, c’est jeter le trouble.
Les seuls responsables de la situation actuelle, du blocage annoncé, c’est le gouvernement, c’est Monsieur Macron, demain ce sera peut-être vous, Mesdames et Messieurs de la majorité sénatoriale.
J’évoquais d’entrée le Préambule de 1946. Toute cette première partie de mon propos le confirme : vous violez la Constitution et vous faites planer une menace contre le régime même de retraite en prônant la capitalisation, qui est contraire à l’idée fondamentale selon laquelle c’est la Nation qui assure les retraites et non pas les marchés financiers.
Malgré tout cela, Emmanuel Macron persiste et veut une adoption rapide de ce projet portant réforme des retraites. Il a inscrit cette dernière dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale réservé, comme son nom l’indique, à des textes purement financiers.
L’avantage, c’est la limitation du temps de débat. 50 jours en tout, 20 jours pour l’Assemblée nationale, 15 jours pour le Sénat.
Un texte non voté par une assemblée est donc transmis à l’autre et même en cas de non-vote de la seconde, une CMP, composée de 14 parlementaires, est convoquée et peut valider le texte, l’amender et le réécrire. Et en cas d’échec de la CMP, le gouvernement peut légiférer par ordonnance.
Ainsi, un projet d’une importance politique et sociale considérable peut être un jour promulgué sans avoir été examiné jusqu’à son terme par une des deux assemblées, voire les deux.
Evidemment, pour le gouvernement - et maintenant la majorité sénatoriale, il existe une solution : ne débattons pas, ou à peine.
Monsieur le Président du Sénat, Mes cher.e.s collègues, comment avez pu accepter de délibérer d’un texte qui n’a pas été soumis au vote de l’Assemblée nationale ? Je rappelle que les députés sont élus au suffrage universel direct.
L’accepter participe au coup de force engagé par le Président de la République contre les institutions pour imposer cette réforme massivement rejetée.
Tout n’est pas permis. Et cette tentative d’oukase contre le Parlement est peut-être le pari de trop engagé par Monsieur Macron.
La seule affirmation d’une légitimité liée à l’affirmation durant le premier tour de l’élection présidentielle est bancale.
Chacun sait que le Président de la République a été élu pour faire barrage à Marine Le Pen et certainement pas pour appliquer le recul de l’âge de départ à la retraite.
La méthode profondément antidémocratique utilisée par le gouvernement qui contraint le débat parlementaire n’est pas conforme à la Constitution.
Dominique Rousseau, professeur émérite de droit constitutionnel le confirme : « L’article 47 peut être utilisé pour une loi de financement de la sécurité sociale : les délais sont compréhensibles car le budget doit être adopté avant le 31 décembre. Or, là, il n’y a aucune obligation que la réforme soit votée en mars plutôt qu’en juin ou plus tard… ».
Selon Monsieur Rousseau, les Sages pourraient censurer pour « détournement de procédure ».
Je le cite à nouveau : « Mon analyse, c’est qu’il y a un risque sérieux d’inconstitutionnalité, car l’utilisation du 47-1 dans ce cas porte atteinte à la sincérité des débats ». Sincérité, le mot est lâché.
Quelle sincérité en effet, si une ou les deux chambres n’examinent pas le texte dans son ensemble.
Benjamin Morel, pour sa part, rappelle que la décision du 3 juillet 1986 a autorisé l’application du 47-1 à un PLFSS rectificative, mais à condition de concerner des mesures « d’ordre financier nécessaire pour assurer la continuité de la vie nationale ». Votre texte menace-t-il la continuité ? Non, ce n’est pas le cas !
Monsieur le Président, nous sommes aujourd’hui au Sénat et certaines choses doivent être dites clairement avant d’entamer l’examen de ce texte.
Vu le cadre imposé par le gouvernement que d’aucuns estime contraire à la Constitution, Monsieur le Président du Sénat, je vous le dis avec la plus grande solennité, nous ne comprendrons pas et nous n’accepterons pas que le Sénat, avec sa majorité, use de procédures visant à accélérer le débat, à l’abroger, à le tuer.
Nous n’accepterons pas que le droit constitutionnel d’amendement, la liberté de parole, tout autant constitutionnelle, soit mise en cause.
Monsieur le Président, allez-vous aujourd’hui accompagner le Gouvernement et Monsieur Macron dans un coup de force contre le Parlement qui, si le texte venait à être adopté par la seule CMP, voire pire, par des ordonnances inusitées, sans habilitation ni ratification, relèverait d’un coup d’état feutré contre les institutions de la République ?
Ce texte donc, est contraire à la Constitution car il s’attaque à des principes de solidarité au cœur de notre République.
Il est contraire à la Constitution car il manipule la Constitution pour contraindre le Parlement, le soumettre.
Ne laissons pas, mes cher.e.s collègues, au Conseil Constitutionnel le soin de censurer ce projet de loi, signifions clairement, quels que soient nos engagements politiques, que le Parlement doit être respecté pour que la Démocratie le soit.