C’est Eric Bocquet qui s’est exprimé pour le groupe CRCE dans ce débat, en rappelant que l’explosion de la dette publique est présentée depuis de nombreuses années comme le cataclysme qui va ruiner la France, alors qu’aujourd’hui, les marchés financiers continuent d’acheter les titres de dette de la France à taux négatifs, quand bien même elle est endettée à hauteur de 117%.
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Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Président,
Mes cher.e.s Collègues,
La Cour des Comptes aborde de très nombreux sujets dans son rapport annuel. Aussi dans les cinq minutes de temps d’expression qui nous sont allouées, je n’évoquerai dans mon propos, qu’un seul sujet, celui de la dette publique. En effet, elle est devenue au fil des années la clé de voûte de l’architecture budgétaire de la France et gare à celui ou celle qui s’affranchirait des contraintes qu’elle génère.
Le 12 avril 2020, au tout début de la pandémie, le FMI, dans une communication, avait trouvé naturel que les gouvernements adoptent la stratégie du “quoi qu’il en coûte”, en précisant toutefois qu’ils devaient bien veiller à conserver les factures. Ce relâchement budgétaire fut une sorte de parenthèse. Mais aujourd’hui, les financiers nous disent que l’ordre ancien doit retrouver ses droits et la dette sa fonction, celle qui “vise” à discipliner les Etats dispendieux et les peoples impécunieux.
Vous vous souvenez sans doute, mes cher.e.s collègues, de la teneur des débats ici même en novembre 2019, nous engagions la discussion sur le projet de loi de Finances 2020. A l’époque, les ministres nous rappelaient que le ratio de la dette sur le PIB était de 98,4%, nous approchions de la barre fatidique de 100%. Nous étions, mes chers collègues, au bord de l’apocalypse et 6 mois plus tard, pandémie oblige, nous avions atteint les 117%.
En 2004, François Bayrou déclarait : “S’il s’agissait d’une entreprise, la France serait au bord du dépôt de bilan”. A cette époque, la dette atteignait 66% du PIB.
En 2007, Ségolène Royal : “La dette publique est devenue insoutenable”. Cette année-là, la dette atteignait 64,6% du PIB.
La dette atteint aujourd’hui 115% du PIB. Toutes les règles ont explosé pendant ces deux années. Les 3% de déficit, les 60% de ratio de la dette, c’était le monde d’avant.
Ces déclarations catastrophistes et anxiogènes devraient également inquiéter les marchés financiers, ceux qui nous prêtent. Or, il n’en est rien.
Avec une telle dette, la France a emprunté très facilement 260 milliards d’euros en 2020, autant en 2021 et la même chose est prévue cette année 2022, nous allons emprunter 260 milliards. Vous avez sans doute rencontré des gens ces derniers mois qui vous interrogeaient : “On nous expliquait il y a deux ans qu’il n’y avait pas d’argent magique et voilà que l’on a trouvé en quelques semaines, les milliards qu’il nous fallait.
Alors à quelles conditions emprunte-t-on ?
Voyons ce que nous dit le site de l’Agence France Trésor qui vend notre dette sur les marchés financiers.
Prenons la dernière adjudication en date, celle de lundi dernier, le 21 février.
Pour les Bons du Trésor à 3 mois, le taux négatif proposé est de -0,680%. Pour ceux à 12 mois, il est de -0,585%. Pour les OAT, les obligations à terme à 8 ans, nous avons un taux de 0,30%.
Il y a même une obligation à 3 ans qui nous a été proposée à un taux de -0,08%.
Quel étrange paradoxe quand même, mes cher.e.s collègues, de voir ce contraste saisissant entre l’inquiétude orchestrée et l’extrême quiétude des marchés financiers. Et c’est là où j’opposerai le confort des aides sociales de notre collègue Vincent Segouin à l’extrême confort des marchés financiers.
Alors on peut s’interroger sur la santé mentale des acteurs des marchés, sont-ils devenus fous ? Sont-ils devenus incompétents ? Ou alors, dans une vision plus humaniste, auraient-ils été soudain touchés par la grâce pour se tourner désormais vers l’action philanthropique, et l’amour du prochain ? Permettez-moi de ne retenir aucune de ces trois options.
La réponse à cet apparent paradoxe, je crois l’avoir trouvée dans un reportage diffusé sur la radio de service public France Inter, c’était le 20 janvier 2021.
La scène se déroule dans les locaux de l’Agence France Trésor à Bercy. Ce jour-là, l’AFT vend 6 milliards de dette et voici ce que déclarait à la journaliste, le Directeur général de l’époque, M. Anthony Requin :
« La France a un très très bon crédit auprès des investisseurs, une rente jusqu’à 10 fois supérieure à l’offre, la dette française fait office de valeur refuge, un coffre-fort qu’elle fait payer.
Les gens placent leurs économies pour être sûrs de récupérer leur somme et un coffre-fort, ça se loue. Les investisseurs nous confient leurs liquidités, ils paient le prix de la location de cette sécurité, c’est le taux d’intérêt négatif que vous voyez.
Le coffre-fort, c’est la signature de l’Etat. »
Le gouvernement de M. Macron déclare que pour réduire la dette, il comptait surtout sur une maîtrise de la dépense publique, les magistrats de la Cour des Comptes rappellent ce matin qu’ils estiment qu’un tel objectif nécessiterait plus de 9 milliards d’économies supplémentaires.
Pour conclure, je voudrais à cet instant, évoquer le cas de la Grèce, à qui fut imposée une purge budgétaire insupportable en 2010, au moment de la crise.
A cette époque, son ratio de dette sur PIB était de 147,5%. 10 ans plus tard, ce ratio est passé à 206,3%.
Le dernier mot à notre ancien collègue, Jean-Pierre Raffarin, c’était le 7 juillet 2011 sur RTL. Il disait ceci :
“Au fond, dans le passé, l’élection présidentielle dépendait d’un seul facteur, l’avis des électeurs. Maintenant, l’élection présidentielle dépend de deux facteurs : l’avis des électeurs, mais aussi l’avis des prêteurs”.
Ca fait réfléchir, je trouve. Quand on vous dit que le sujet de la dette publique est une question éminemment politique.