Les débats ont débuté par une motion tendant à opposer la question préalable, déposée par le Groupe CRCE-K et défendue par Eric Bocquet à la tribune.
Lire le texte de la question préalable au PLF 2024
Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Mes cher.e.s collègues,
Nous voilà donc engagés dans le débat budgétaire pour l’année 2024. Nous allons, dans les semaines qui viennent parler énormément de chiffres, cela paraît logique, mais nous faisons le choix, Messieurs les Ministres, de consacrer ce temps de parole à la vie des gens, au quotidien de nos concitoyennes et concitoyens, à qui ce budget devrait apporter des réponses concrètes et efficaces.
Le mardi 14 novembre dernier, le Secours Catholique a publié son rapport annuel sur l’état de la pauvreté en France, édition 2023. Les données sont absolument saisissantes.
Après la crise du Covid, plus de 550 000 personnes ont basculé dans la pauvreté et depuis, évidemment, l’inflation galopante sur les prix des denrées alimentaires, par exemple, a encore aggravé la situation.
Le taux de pauvreté atteint désormais 14,5%, en progression de 0,9 point, mais je vous le disais, nous souhaitons évoquer à cet instant des propos, le cas concret de Chantal, une histoire relatée dans un article du journal « Le Monde », daté du jeudi 16 novembre dernier. Chantal a 60 ans, raconte son existence. Elle fait partie des millions de personnes aidées chaque jour par les bénévoles du Secours Catholique, du Secours Populaire, des Banques alimentaires, des Restos du cœur ou encore des épiceries solidaires. L’idée n’est pas, bien évidemment, de sombrer ni dans le populisme ni dans la démagogie. Il s’agit de rendre compte de la réalité quotidienne de millions de nos concitoyennes et concitoyens.
Quand Chantal a payé ses frais fixes, il lui reste 17 euros par jour pour vivre. Elle ne se plaint pas : « Je me dis toujours qu’il y a pire que moi », nous dit-elle. Comme 95% des personnes aidées par le Secours Catholique, elle se situe en-dessous du seuil de pauvreté, fixé à 60% du revenu médian, soit environ 1 210 euros par mois.
Chantal a eu un parcours de vie un peu chaotique. Séparation d’avec son mari, puis atteinte d’un cancer du sein. Après un licenciement et plusieurs années d’incapacité, elle a pu rejoindre un emploi, à condition de faire peu d’heures. Elle s’accorde quinze jours de congés par an, ce qui signifie perdre une partie de ses 1 200 euros mensuels, obtenus en cumulant pension d’invalidité, salaire, indemnité au titre de son assurance prévoyance, plus l’aide au logement. Chantal, dont le nom a été modifié pour les besoins de l’article, reconnaît effectuer quelques heures de travail au black, « parce que si je déclarais, ma pension diminuerait ». Son avenir l’inquiète aussi. Si elle prend sa retraite à 62 ans, elle ne dépassera pas 826 euros par mois : « Tant que je peux, je travaille ».
Chaque sortie, chaque rentrée d’argent sont notées dans un carnet. Mais entrons dans le détail des chiffres d’une vie précaire.
Chantal doit assumer 682 euros de frais fixes chaque mois : 242 euros de loyer pour son logement social, une fois déduite l’aide personnalisée au logement, 109 euros d’électricité, 77 euros de mutuelle, 52 euros d’assurance voiture, 30 euros d’Internet, il lui reste donc bien 17 euros par jour pour assumer toutes les autres dépenses. Elle attend les promotions, elle fait durer ses dix steaks hachés surgelés tout le mois. Elle a renoncé au poisson et aux fruits. Avec les quelques dizaines d’euros gagnés au noir, elle s’offre du tabac à rouler et des parties de loto les dimanches. On s’étonne parfois, mes chers collègues, de la fréquentation en hausse des lotos organisés par les associations dans nos communes.
Elle continue de verser les 21 euros mensuels de son assurance décès : « Comme ça, mes enfants ne paieront pas », dit-elle.
En revanche, elle n’a pas les moyens de se payer un dentier, alors que les treize dents – une conséquence de sa chimiothérapie – qui lui restent la font atrocement souffrir. Elle se bourre de Doliprane, bien au-delà des doses autorisées. Mais Chantal est résiliente et force l’admiration : « Je ne suis pas à plaindre quand même. J’ai un toit et je suis bien entourée ».
Il y a quelque temps, sa voiturette sans permis est tombée en panne. L’association l’a aidée à payer les réparations, d’autant qu’elle a perdu deux semaines de salaire, faute de pouvoir se rendre chez son employeur.
Chantal sait qu’elle n’a pas droit à l’erreur : « Une fois, j’ai fait ma déclaration pour la pension d’invalidité deux jours trop tard. Je n’ai rien touché pendant trois mois. »
Aujourd’hui, Chantal a rejoint les bénévoles de la permanence alimentaire.
Je veux ici saluer la journaliste du Monde qui a écrit ce récit, Madame Claire Ané. Cette histoire singulière nous ramène forcément à d’autres cas multiples que nous avons tous en tête, et elle illustre parfaitement ce que signifie dans notre société une vie précaire.
Le Pacte des solidarités présenté par le gouvernement a fait réagir les associations de lutte contre la pauvreté. Elles dénoncent un manque d’ambition et aucune mesure forte pour lutter efficacement contre la pauvreté. Seulement un catalogue de mesures dont beaucoup étaient déjà connues, avec une petite rallonge - heureusement - pour couvrir les besoins des associations alimentaires.
Malgré ce contexte de difficultés aggravées pour une très grande partie de la population, vous confirmez votre volonté de « réduire la dépense publique » à tout prix, et vos choix dogmatiques de refus d’agir sur la fiscalité des plus aisés de notre pays et des dividendes qui explosent, réduisent du même coup les capacités de l’État à agir afin de répondre aux grands défis de notre temps.
A l’autre pôle de notre société, le paysage est très différent. Quand notre témoin Chantal totalise 682 euros de frais fixes par mois, l’homme le plus riche du monde, notre compatriote Bernard Arnault, consomme 657 litres de gasoil par heure avec son méga-yacht, fort heureusement taxé avec une TVA à 0% grâce aux contrats de transports internationaux.
Votre prédécesseur, Monsieur le Ministre, répétait à l’envi que la France n’était pas un paradis fiscal pour les plus riches. Même le magazine Challenges, l’été dernier, conteste cette affirmation dans son numéro annuel de juillet, établissant le classement des 500 premières fortunes professionnelles de France. Pour la quasi-totalité de la population, le système fiscal français est progressif, avec un taux d’imposition qui augmente avec les revenus. En revanche, pour le sommet de la pyramide, à partir des 0,1% les plus riches, il devient dégressif, chutant à 26% pour les 0,0002% les plus fortunés, soit 75 milliardaires identifiés. Ces derniers perçoivent l’essentiel de leurs revenus à travers les profits de leurs entreprises, taxés à un taux plus faible que celui de l’impôt sur le revenu. S’ils avaient été taxés au taux de l’impôt sur le revenu, ces 75 milliardaires auraient payé un taux d’impôt à 59%.
Monsieur Jean Pisany-Ferry, l’inspirateur du programme économique du candidat Emmanuel Macron en 2017, prône la taxation du patrimoine des plus aisés afin de financer la lutte contre le changement climatique. Monsieur Bruno Le Maire, ici présent, semble avoir enfin compris ce que sont les superprofits, nous l’encourageons à poursuivre sa progression en décidant de les taxer enfin à la bonne hauteur.
Monsieur le Ministre, cette question préalable, c’est aussi un appel à mener un combat résolu et déterminé dans la recherche de recettes nouvelles. Vous ne vous intéressez qu’aux économies dans la dépense publique.
Deux rapports récents soulignent une volonté politique insuffisante dans la lutte contre l’évasion fiscale. Celui de l’Assemblée nationale, qui revient notamment sur les moyens humains nécessaires, vous en avez parlé Monsieur le Ministre Cazenave, et souligne les 2 500 emplois supprimés dans le contrôle fiscal entre 2013 et 2021.
Demandez aussi des comptes à nos partenaires européens. Je pense au Luxembourg, qui héberge 55 000 sociétés offshore ou encore à Chypre qui accueille volontiers au sein de l’Union européenne, l’argent sale des oligarques russes, avantages fiscaux, tolérance judiciaire ou encore visas dorés.
Un second rapport, émanant celui-là de la Cour des Comptes. Celle-ci s’interroge sur l’efficacité de l’action de plus en plus importante de l’intelligence artificielle.
Ce rapport livre également une charge contre les indicateurs censés mesurer l’efficacité du contrôle fiscal, mais qui ont, je cite : « l’inconvénient de ne pas faire le lien entre modalités de ciblage, motifs de programmation et résultats ».
Messieurs les Ministres, en matière de lutte contre l’évasion fiscale, il est grand temps de chausser les bottes de sept lieues !
Sur le champ des recettes, je citerai à nouveau la Cour des Comptes qui a rendu un rapport fort intéressant en juillet dernier sur le pilotage et l’évaluation des dépenses fiscales, plus communément connues sous le nom de « niches fiscales ».
Il existe dans notre pays pas moins de 465 dispositifs fiscaux visant à réduire l’impôt. Leur coût total dépasse les 94 milliards d’euros. La Cour des Comptes indique que leur concentration sur l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés et la TVA (90% du montant des dépenses fiscales) affecte fortement le rendement de ces derniers, contribue à l’érosion des bases fiscales et fragilise la trajectoire de consolidation des finances publiques. En conclusion, la Cour indique : « Les programmes d’évaluation fixés par les dernières lois de programmation des finances publiques n’ont pas été respectés, ainsi, aucune évaluation sur les onze prévues dans le programme de travail pour 2022 n’a été réalisée. Certains dispositifs, y compris à fort enjeu, n’ont en outre pas fait l’objet d’évaluation depuis dix ans ».
Je pense que l’on pourrait inscrire dans ceux-ci le Pacte Dutreil. Certaines niches ont sans nul doute leur utilité , pour d’autres il y aurait matière à investigation.
Messieurs les Ministres, quelle suite le gouvernement entend-il donner à ce rapport, riche en recettes nouvelles ?
Cette question préalable c’est le surgissement de l’état réel de notre société dans nos débats. C’est aussi un appel à explorer des pistes nouvelles, en termes de recettes fiscales nouvelles qui pourraient nous éviter un recours massif à l’aggravation de la dette publique. Ce PLF 2024, selon les mots de Monsieur Le Maire, doit dégager 16 milliards d’euros d’économies « afin de permettre à la France d’entamer le processus de désendettement », dixit le Ministre.
Monsieur le Ministre, qui peut sérieusement croire à cette fable, quand vous avez d’ores et déjà décidé d’emprunter 285 milliards d’euros l’an prochain, quand le total de notre dette a dépassé les 3 000 milliards ?
Non décidément, ce budget ne s’attaque pas radicalement aux grands maux de notre société.
La progressivité de l’impôt, jusqu’à la dernière tranche !
Les amendements 885 et 886 sur l’article 1er visaient à prolonger la progressivité de l’impôt sur le revenu jusqu’aux dernières tranches, pour lesquelles, étrangement, l’impôt est dégressif.
Lire le texte de l’amendement 885 sur l’article 1er
Monsieur le ministre, j’ai cru comprendre que vous cherchiez de l’argent…
Voici une proposition qui devrait vous plaire. Selon une étude de l’Institut des politiques publiques, publiée en juin dernier, une infime proportion de ménages ultra riches bénéficient d’un taux d’imposition particulièrement faible par rapport au reste de la population. La progressivité des prélèvements obligatoires fonctionne pour l’immense majorité des ménages, mais une fois arrivé à l’extrême sommet de la pyramide, le taux d’imposition global pour les 0,1 % les plus riches s’affiche encore à 46 %, pour tomber à 26 % pour les 0,002 % des plus riches. Voilà le sens de cet amendement.
Lire le texte de l’amendement 886 sur l’article 1er
Si les 5 millions de foyers fiscaux de la tranche inférieure à 78 570 représentent une diversité de situations, nous avons décidé de nous attacher aux deux dernières tranches d’imposition que vous prévoyez également d’indexer. Nous proposons que les contribuables déclarant des revenus supérieurs à 78 570 euros annuels conservent le même niveau d’imposition que cette année 2023. Nous proposons de ne pas indexer leur tranche en la maintenant au niveau de l’année dernière, car le mécanisme d’indexation selon un pourcentage majore mécaniquement davantage la dernière tranche, soit + 8 111 euros.
Ces amendements n’ont pas été adoptés.
Sur le Pacte Dutreil comme sur les autres niches, nous voulons connaître le coût de l’optimisation fiscale
Les discussions ont porté les sénateurs à débattre du Pacte Dutreil, dispositif permettant de favoriser la transmission des entreprises. Il permet, sous certaines conditions, de bénéficier d’une exonération importante des droits de donation ou de succession.
Ce dispositif, qui a tout le potentiel pour se transformer en niche fiscale, n’a jamais été évalué ni chiffré, et le groupe CRCE-K souhaite que ce soit fait.
Certains sénateurs, lors de la défense de l’amendement précédent, ont accusé les sénateurs CRCE-K de vouloir nuire aux entreprises, alors qu’ils cherchent simplement à chiffrer ces dispositifs d’optimisation fiscale, ce qui leur a valu un coup de sang d’Eric Bocquet.
Lire l’intervention d’Eric Bocquet sur le Pacte Dutreil
Il faut arrêter de nous caricaturer : nous ne sommes pas contre l’entreprise, on n’est pas contre l’activité économique, certainement pas contre l’emploi.
Non non, attendez, attendez… C’est de la caricature ça ! Non mais tu peux rire, on est sérieux, d’accord ?
Nous sommes conscients de la nécessité de pérenniser l’activité des petites entreprises effectivement, quand la question de la succession se pose. Nous souhaitons néanmoins limiter le pacte Dutreil afin qu’il ne constitue pas, dans certains cas, un simple outil d’optimisation fiscale.
Et il n’est pas choquant que des parlementaires s’intéressent au coût d’un dispositif. Depuis 10 ans, on est incapable d’avoir un coût, 500 millions, 10 années de suite. C’est pas sérieux !
Monsieur le Ministre prend un engagement, effectivement il aurait été vraiment souhaitable que, devant la représentation nationale, ces chiffres soient donnés, c’est dommage qu’on ait attendu 10 ans pour les avoir. C’est pas acceptable, il n’y a rien de choquant. On est sur une loi de finances, et tous responsables, et tous soucieux du développement économique de ce pays.
Pas de fiscalité spéciale pour la FIFA !
Dans le cadre des discussions sur l’article 3 sexvicies, Eric Bocquet a défendu un amendement 923 refusant le gros cadeau fiscal qui était prévu pour accueillir la FIFA à Paris, et plusieurs autres fédérations sportives internationales.
Victoire : cet amendement a été adopté, et l’article contenant ce projet d’exonérations fiscales a été supprimé !
Lire le texte de l’intervention d’Eric Bocquet sur la FIFA
Alors la troisième lame sur ce sujet effectivement. Nous buvons vos paroles chers collègues.
Les Échos, vous savez, mon journal de chevet titrait le 18 octobre : « La France crée un paradis fiscal pour attirer la FIFA. »
C’est Les Échos qui disent ça ! Une preuve d’amour en direction de la FIFA.
On parle beaucoup d’attractivité, j’entends beaucoup ce mot depuis hier, avec d’autres mots d’ailleurs, je me demande si certains n’ont pas en tête de changer la devise de la République qui deviendrait demain, au lieu de « Liberté, égalité, fraternité », « Stabilité, attractivité, productivité ».
C’est quand même une idée incroyable ! Les collègues sont intervenus. Il s’agit d’exonérer d’impôts sur les sociétés, de cotisations foncières sur les entreprises et de CVAE les fédérations sportives internationales, qui brassent – cela a été dit – des millions d’euros, on le sait !
Ce régime fiscal concernerait plus précisément 34 fédérations sportives internationales, reconnues par le CIO.
Le Monde croit savoir que ce cadeau fiscal concernerait particulièrement les très lucratives Fédération internationale de l’automobile, reconnue par le CIO depuis 2012, et dont le siège est à Paris ; la Fédération internationale de football américain ; et surtout la Fédération internationale de football, la FIFA, qui a une annexe à l’Hôtel de la Marine à la Concorde, rénové grâce aux fonds du Qatar et non soumise à l’impôt sur les sociétés, qui compte pour l’heure une vingtaine de salariés mais qui devrait en transférer du siège de Zurich vers Paris 50 supplémentaires.
Pour la période 2023-2026, la FIFA escompte percevoir 11 milliards de dollars de revenus, hors Coupe du monde. Monsieur Gianni Infantino, son président, aurait tapé du poing sur la table afin de bénéficier d’un régime fiscal encore plus avantageux que dans son canton de Zurich, très connu chez les spécialistes de la fiscalité.
L’attractivité à la Suisse n’allait déjà pas si mal avec l’impôt sur les sociétés de 12%, bien supérieur à l’exonération prévue par ce dispositif, si bien qu’elle a versé, selon ses dires, 2,7 millions de dollars d’impôts et de taxes en 2022. Franchement, cette course à l’échalote devient complètement indécente.
Taxer les superprofits, Bruno Le Maire peut le faire
Lors de l’examen de l’amendement 907 sur les articles additionnels après l’article 4, Eric Bocquet a pu se féliciter de que Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, ait appris, depuis l’année précédente, ce qu’étaient les superprofits. Charge à lui maintenant d’arrêter de suggérer, demander ou préconiser aux entreprises d’agir, il doit activer le levier fiscal.
L’amendement n’a pas été adopté.
Lire l’intervention d’Eric Bocquet sur les superprofits
Je crois qu’on ne peut que se féliciter que ce débat sur les superprofits perdure grâce à nos amis centristes, notamment, mais l’ensemble de la gauche aussi. Parce que ça a permis au moins au Ministre Le Maire de comprendre ce qu’ils sont. Souvenez-vous qu’il avait dit fin août devant le MEDEF, à l’Université d’été, qu’il ne savait pas ce que c’était que les superprofits, maintenant il sait.
Et donc il a réagi, il a eu une réaction spectaculaire, il a commis un tweet, en disant, un tweet qui restera dans les annales à mon avis, faut le mettre au Panthéon de l’expression politique. Vous savez que chaque année, il y a un concours, il faudrait l’inscrire. « Je demande à toutes les entreprises, notamment les plus grandes, de faire preuve de la plus grande modération sur le versement des dividendes. C’est un moment où tout l’argent doit être employé pour faire tourner les entreprises. »
Et depuis, vous le savez, chaque année, les records de versement de dividendes sont battus. Monsieur Bruno Le Maire suggère, Monsieur Bruno Le Maire demande, Monsieur Bruno Le Maire préconise, Monsieur Bruno Le Maire souhaite, il recommande, et Monsieur Bruno Le Maire n’obtient rien.
Mais Monsieur Le Maire est à Bercy, il peut activer le levier fiscal, c’est ce que nous lui suggérons de faire.
Taxons les yachts, qui, pour une poignée de privilégiés, polluent autant que 7 500 français
Lundi 27 novembre, Eric Bocquet a présenté un amendement visant à taxer les yachts de
plus de 40 mètres qui traversent l’espace maritime français sur leurs émissions de gaz à effet de serre, qu’ils fassent escale ou pas.
L’amendement n’a pas été adopté.
Lire le texte de l’amendement visant à taxer les yachts
Cet amendement vise à taxer tous yachts qui traversent l’espace maritime français en fonction des émissions de gaz à effet de serre, qu’ils soient immatriculés en France ou non (c’est pas souvent le cas d’ailleurs), et qu’ils fassent escale ou pas.
Nous visons ceux de plus de 40 mètres, et fixons la taxe à moins de 45 euros par tonne émise. Vous connaissez sans doute l’application qui permet de tracer les déplacements des jets privés, en mettant en exergue les consommations astronomiques de ces appareils ; et bien vous serez ravis d’apprendre qu’il en existe une également qui s’intéresse aux yachts. Par souci d’équité, je ne parlerai pas de celui du premier milliardaire du monde, qui est français, et qui, en un mois de vacances cet été en Méditerranée, a englouti 470 000 litres de diesel et rejeté autant de CO2 que 7 500 Français durant la même période.
Alors, un mot sur le festival de yachting de Cannes, qui a eu lieu en septembre dernier. En 6 jours, 106 yachts ont frayé sur nos côtes, pour un circuit aquatique de plus de 713 000 litres de carburant et 1 800 tonnes de CO2. La plupart battent pavillon de complaisance : les îles Caïmans, Malte (c’est l’Union Européenne, c’est un partenaire européen), Jersey-Guernesey à quelques encablures de St-Malo, 70 km que j’ai convertis, c’est 32 000 miles nautiques. Voilà une clé de lecture.
Les grands nombres sont difficilement appréciables : moins de 60km de nos côtes, on subit en 6 jours la pollution équivalente en oxyde d’azote à ce que dégage le parc automobile d’Île-de-France en trois jours !
D’où le sens de cet amendement, que je vous demande de soutenir, cette fois.
Ca s’appelle l’optimisation fiscale, moi j’appelle ça de l’évasion légale
Mardi 28 novembre, Eric Bocquet est intervenu dans l’explication de vote d’un amendement pour rappeler l’intérêt de débattre autour des prix de transfert, qui représentent un enjeu fondamental. Il a pris l’exemple de la banane pour illustrer son propos.
Lire l’explication de vote d’Eric Bocquet sur les prix de transfert de la banane
Je suis un peu étonné de la demande de suppression de l’alinéa 14 par nos 3 collègues. Ce n’est pas une question de complexité, on est sur un enjeu financier fondamental : les prix de transfert.
Je vais essayer d’expliquer en quelques secondes ce que sont les prix de transfert, même si vous le savez déjà les uns les autres.
Est-ce que vous savez quel est le premier distributeur de bananes en Europe ? Eh bien c’est Jersey.
Par quel artifice c’est possible ? parce que le groupe Irlandais, le grand négociant de fruits qui s’appelle Fyffes a domicilié une entreprise qui est une stricte boîte aux lettres installée à Jersey, en pleine campagne, dans une petite commune qui s’appelle St John.
Donc Jersey, vous savez, c’est la plus grande des îles anglo-normandes, superficie que de 118km2, moins de 100 000 habitants, 50% des salariés travaillent dans l’industrie financière.
Les 3 groupes américains Chiquita, Dole et Del Monte, les spécialistes de la banane au monde, vous savez que la banane est le fruit le plus consommé dans le monde.
A Saint-Hélier, capitale de Jersey, les traders achètent et revendent ainsi les productions de bananes en provenance d’Amérique Centrale principalement.
Et la banane fait 2 voyages : un voyage physique dans un cargo depuis les plantations du Costa Rica par exemple, en direction du marché Européen, l’Allemagne et ses 80 millions d’habitants, premier marché consommateur sur le Vieux Continent.
Et puis il y a un deuxième voyage, purement virtuel, second circuit de la banane qui est purement spéculatif et virtuel, circuit informatisé des factures et de la spéculation sur les prix, qui chemine par les îles Caïmans pour l’assurance, par les Bahamas pour le droit de la marque, l’Île de Man pour la facturation, et pour les frais financiers c’est Jersey.
Et c’est ce qui fait que la banane qui est partie de 15 centimes du Costa Rica est vendue 1€ à Berlin par exemple. 85% du prix de la banane a échappé à l’impôt ou quasiment.
Voilà ce qu’on appelle les prix de transfert, on est sur un enjeu fondamental.
Ca s’appelle l’optimisation fiscale, moi j’appelle ça de l’évasion légale.
Non un lanceur d’alerte n’est pas un délateur
Il est ensuite intervenu en explication de vote contre l’amendement 808, qui visait à supprimer la rémunération de l’aviseur fiscal, à savoir celui qui dénoncerait une fraude supérieure à 100 000 euros.
Eric Bocquet a rappelé que loin de la délation invoquée, cela ramenait plutôt au courage et à l’honnêteté dont font preuve les lanceurs d’alerte.
Lire l’intervention d’Eric Bocquet défendant les lanceurs d’alerte
Je voterai évidemment contre cet amendement s’il était maintenu. Je n’aime pas beaucoup cette expression, « délation », qui rappelle les pires heures de notre histoire, dans les années sombres.
Je préfère parler de lanceurs d’alerte. Et je me permettrai de citer aujourd’hui le cas d’un lanceur d’alerte, ancien auditeur interne de la banque UBS, qui fut condamnée en décembre 2021 à une peine d’1,8 milliard d’euros.
Alors la peine est en train d’être contestée par eux, mais en tout cas, ils sont été condamnés, convaincus de fraude fiscale en bande organisée, grâce aux informations délivrées par ce monsieur, Nicolas Forissier, je le nomme, qui vient d’ailleurs d’être nommé à l’Ordre national du mérite hier, c’est tout récent, pour avoir contribué à rendre à la République cet argent qui lui avait été volé.
Donc non, c’est un lanceur d’alerte, ce n’est pas un délateur.
Des menaces d’effondrement, des économies imposées, mais toujours aucune évaluation des dispositifs
Samedi 2 décembre, le Sénat débattait autour des crédits de la mission "Engagements financiers de l’État". C’est Eric Bocquet qui a exprimé les réserves du groupe CRCE-K.
Lire l’intervention d’Eric Bocquet sur la mission "Engagements financiers de l’Etat".
Madame la Présidente,
Madame la Ministre,
Mes cher.e.s collègues,
Il y a 4 ans, lors des débats sur le PLF pour 2020, Monsieur Bruno Le Maire nous prédisait l’effondrement. Il disait : « notre ratio de dette sur le PIB approche dangereusement de la barre des 100% », nous étions alors, de mémoire, à 98,5%. 6 mois plus tard, nous étions à 117% et la France ne s’est pas effondrée.
Alors surgit aujourd’hui une nouvelle barre fatidique, celle des 3 000 milliards, 3 013 depuis le premier trimestre exactement je crois. 3 000 milliards d’euros de dette publique, accompagnés des habituels discours catastrophistes, culpabilisateurs surtout. Il nous faut trouver 16 milliards d’économies, il en va de la survie de l’Etat, du pays. C’est le Ministre qui nous le dit : « Sans les transformations indispensables à notre modèle économique et social afin d’inciter davantage au retour à l’emploi, la France ne réussira pas dans les prochaines décennies ». Il faut être très ferme sur les comptes publics, alors même que nous ne savons pas véritablement ce que le terme « réussite » recouvre. Alors même que vous avez déjà décidé d’emprunter 285 milliards d’euros l’an prochain, et que le total de notre dette, nous l’avons dit, a dépassé les 3 000 milliards.
Ce que nous savons, c’est que le temps de payer la facture est arrivé. En effet, le 15 avril 2020, le FMI nous rappelait qu’en période de pandémie, je cite, « la politique budgétaire est essentielle pour sauver des vies et protéger les populations. Les pouvoirs publics doivent prendre toutes les mesures nécessaires mais ils doivent aussi en garder une trace. » En somme, prenez soin de garder les factures. Cela est vrai, les politiques publiques sont essentielles pour sauver des vies et protéger la population, pas seulement en période de crise, mais de tout temps.
L’état d’abandon de nos hôpitaux et ces drames quotidiens de non-prise en charge de certains malades, voire de tri des patients nous le rappelle cruellement alors que la pandémie est fort heureusement derrière nous. Il en est de même d’une population qui se paupérise, nous ne rappellerons pas ici les chiffres de la pauvreté, dans ce pays qui est encore la 7ème puissance économique mondiale.
Vos choix risquent d’approfondir ce phénomène de paupérisation, en alignant par exemple la durée d’indemnisation du chômage des plus de 55 ans sur celle des autres chômeurs. Et ce ne sont que quelques exemples, tous à rebours des objectifs que devraient porter une politique publique et budgétaire véritablement adaptée aux besoins du pays.
Et pourtant, vous confirmez votre volonté de réduire la dépense publique à tout prix, et vous persistez dans vos choix dogmatiques, en refusant d’agir sur la fiscalité des plus aisés de notre pays, alors que les dividendes explosent et que les patrimoines prospèrent. Ces options réduisent les capacités de l’Etat à agir, afin de répondre aux grands défis de notre temps.
De plus, le FMI nous recommandait aussi à l’époque d’apporter en priorité une aide aux ménages pour leur garantir un accès aux biens et services de base et un niveau de vie décent. Pour éviter les séquelles permanentes, privilégier un soutien aux entreprises viables afin de limiter les licenciements et les faillites. Ainsi, s’il fallait intervenir massivement pour atténuer la crise du Covid et la crise énergétique qui a suivi, il aurait sans doute fallu mieux cibler et contrôler les aides massives dont ont bénéficié les entreprises sans conditionnalité réelle, ni suivi sérieux.
Alors même que le FMI nous appelait à renforcer les principes de bonne gouvernance, à la hauteur de l’ampleur des mesures prises, à avoir une comptabilité précise, divulguer l’information fréquemment, complètement et en temps opportuns, et adopter les procédures permettant une évaluation a posteriori, et une responsabilisation. En bref, les dirigeants devraient prendre toutes les mesures nécessaires mais veiller, encore une fois, à en garder une trace.
Nous en sommes loin, au vu de l’opacité autour du bouclier tarifaire, de l’amortisseur, et autres sur-amortisseurs, pour lesquels nous ne disposons pas d’évaluation fine à ce jour. Et, je l’ai déjà dit, les programmes d’évaluation fixés par les dernières lois de programmation des finances publiques n’ont pas été respectées.
Ainsi, aucune évaluation sur les 11 prévues dans le programme de travail pour 2022 n’a été réalisée, dixit la Cour des Comptes en juillet dernier.
Certains dispositifs, y compris à fort enjeu, n’ont en outre pas fait l’objet d’évaluation depuis 10 ans.
Je vous remercie.
La DGFiP et les douanes ont besoin de moyens pour lutter contre la fraude
Jeudi 7 décembre, le débat portait sur les crédits de la mission "Transformation et fonction publiques". Eric Bocquet s’est exprimé au nom du groupe CRCE-K pour regretter l’absence de moyens supplémentaires alloués aux organes qui tentent de lutter contre la fraude.
Lire l’intervention générale d’Eric Bocquet sur la mission "Transformation et fonction publiques"
Madame la Présidente,
Messieurs les Ministres,
Cher.e.s collègues,
Ce projet de loi de finances pour 2024 devait traduire les annonces de l’ex-ministre du budget, Monsieur Attal, en matière de lutte contre la fraude fiscale.
Un plan fraude qui se traduit par la poursuite des diminutions des moyens humains de la direction générale des finances publiques (DGFiP) et des Douanes, respectivement moins 219 et moins 26 millions d’euros. Cette diminution n’est certes en rien comparable avec les 43 000 emplois en moins perdus par la DGFiP depuis les années 1999, mais la trajectoire est continue à défaut d’être soutenue, poursuivie et surtout inexorable. Nous battons en brèche l’idée qu’il faudrait, à l’heure de l’intelligence artificielle, moins de contrôleurs fiscaux.
Notre collègue députée Charlotte Leduc, dans son rapport récent documenté sur les moyens de la lutte contre l’évasion fiscale, fait état de la diminution des effectifs dédiées aux contrôles fiscaux, moins 16,67 % en 10 ans. Chaque année un peu moins. Les raisons avancées consistent à souligner le ciblage grâce à l’exploitation des données, j’emploie délibérément l’expression française, aux nouvelles technologiques qui accroissent l’efficience des contrôles. Ce budget propose d’ailleurs de renforcer les moyens technologiques, au détriment des moyens humains. Non seulement les contrôles sur place s’effondrent depuis 2013, on le constate, mais c’est la lutte contre la fraude fiscale qui en pâtit, représentant 30% de cette modalité de contrôle.
Si les droits mis en recouvrement augmentent d’1,2 milliard en 2022, cela ne veut pas dire que la méthode est bonne mais que la fraude est plus importante. D’ailleurs, les droits mis en recouvrement augmentent mais les montants recouvrés diminuent de 20 millions d’euros en 2022. Difficile donc de se féliciter de droits recouvrés inférieurs d’1,15 milliard d’euros par rapport à 2015.
Le conseil des prélèvements obligatoires dans un rapport de 2019 sur la fraude expliquant que "cette stratégie" de baisse des moyens "aurait dû se traduire par un meilleur ciblage des contrôles et une réduction du nombre d’affaires à faible rendement et d’affaires conformes." Monsieur le Ministre, disposez-vous de données plus actualisées sur ce point que 2018, dernières données à date ? Il peut y avoir un débat quand même sur l’efficacité de l’intelligence artificielle en matière de contrôle fiscal, et en substitution des agents publics !
Nous attendions avec impatience ce débat pour dévoiler la supercherie, qui consistait à annoncer lors de la présentation du plan fraude « un renforcement sans précédent des moyens ». 1 500 équivalents temps plein supplémentaires pour le contrôle et la lutte contre la fraude fiscale d’ici 2027. Il fallait comprendre qu’il s’agissait seulement de redéploiement. Les moyens de la DGFiP diminueront, il n’y a pas de création nette de postes. Nous aurons un amendement pour engager un vaste plan de recrutement de contrôleurs fiscaux. 500 cette année, 500 l’année prochaine et 500 l’année suivante. Pas de tour de passe-passe de personnels, ils méritent mieux que des annonces tronquées.
Malgré une loi « visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces », elle ne verra aucunement ses effectifs renforcés. On nous disait que ce n’était pas le moment à l’été 2023, que les moyens arriveraient au PLF pour 2024. Nous y sommes, nuls moyens supplémentaires. La douanes subit encore, dans ce projet à l’article 18, des transferts de ses missions fiscales vers la DGFiP qui ne sait plus qu’en faire. La DGFiP, nous ne cesserons de le répéter, n’a ni l’expertise, ni les moyens de sécuriser les bases d’impositions complexes, difficiles, qui nécessitent des contrôles importants sur le terrain.
Nous sommes, par exemple, le deuxième maritime mondial, après les Etats-Unis. Le contrôle et la surveillance d’espaces maritimes de plus de 10,2 millions de km2 mériteraient au moins une flotte sérieuse afin de permettre aux quelques agents des douanes disséminés aux 4 coins du monde de pouvoir réellement assumer leurs missions.
La lutte contre la fraude ne trouve pas de réponse satisfaisante dans cette mission censée concrétiser les annonces de votre prédécesseur, Monsieur le Ministre, elles-mêmes insuffisantes, nous contraignant à voter contre ces crédits.
Toujours moins de fonctionnaires, mais à quel prix ?
Eric Bocquet s’est insurgé contre un amendement du rapporteur LR de la mission, proposant la suppression de 10 000 équivalents temps plein d’opérateurs du service public, sans autre forme de précision ni d’affectation.
Lire la réaction d’Eric Bocquet sur l’amendement proposant la suppression de 10 000 postes de fonctionnaires
Merci Madame la Présidente.
Alors, on nous dit « un amendement logique et de bon sens », on parle quand même de 10 000 équivalents temps plein.
Désolé de rompre un peu cette belle harmonie entre la majorité sénatoriale et la majorité présidentielle. 10 000 équivalents temps plein, notre rapporteur nous explique que cette diminution se justifie par l’existence de nombreux doublons entre les missions assumées par ces opérateurs et d’autres entités, en particulier les collectivités territoriales.
Un petit rappel quand même : les opérateurs qui mobilisent les subventions pour charge de service public les importants dans le PLF pour l’an prochain sont les universités 12,3 milliards, le CNRS pour 3 milliards, France Compétences pour 2,5 milliards, le Commissariat de l’énergie atomique 1,4 milliard et enfin France Travail 1,3 milliard.
Alors, les emplois pour lesquels il y aurait des doublons ne sont pas attribués à des agences, 47,64% de l’emploi des opérateurs est concentré dans ce budget, dans les universités et à Pôle Emploi.
La presse en a parlé
Public Sénat a repris une intervention d’Eric Bocquet, qui a permis l’individualisation du taux de prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Cette mesure de justice fiscale est destinée à mieux répartir la charge de l’impôt au sein du couple.
L’article est à découvrir en cliquant ici.
Eric Bocquet a été interviewé au sujet du cadeau fiscal prévu au sein du PLF pour la Fifa et les fédérations sportives internationales par Clémence Houdiakova, à retrouver sur YouTube ou ci-dessous :