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Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Depuis le 1er février dernier, la Birmanie est une nouvelle fois dans une situation de chaos. Ce quatrième coup d’État en à peine 65 ans et la répression que subissent ses opposants ont déjà fait plus d’un millier de victimes civiles et plus de quatre milles prisonniers. En parallèle, écoles, hôpitaux et postes de police ont été vidés, la junte militaire décidant de purger les fonctionnaires refusant cette prise de pouvoir illégitime. 300 000 travailleurs ont été licenciés de façon arbitraire, 25 millions de personnes vivent en situation de pauvreté.
Face à cette situation, que faire ?
En premier lieu, il me semble essentiel que nous arrivions à une condamnation la plus large possible du coup d’État. C’est ce que fait cette proposition de résolution que notre groupe votera.
Malheureusement, les derniers mois ont été une nouvelle fois marqué par des désaccords internationaux profonds. Le blocage d’une résolution au conseil de sécurité de l’ONU par la Russie et la Chine nous ont fait perdre un temps important. La résolution du 3 février, si elle va dans le bon sens en appelant à l’abstention des violences, le maintien des institutions démocratiques et le respect des libertés fondamentales, ne suffit malheureusement pas. Il aura d’ailleurs fallu attendre le 18 juin pour que les Nations Unies condamnent officiellement le coup d’État.
De la même manière, l’Union européenne a imposé des sanctions économiques, mais seront-elles suffisantes ?
Nous pouvons en effet nous interroger sur la pertinence de ne pas intégrer certains secteurs essentiels au champ des sanctions.
Tout comme nous devons garder en mémoire les stratégies de la junte dans les années 1990 et 2000, qui avaient mis en balance les immenses besoins de la population civile. Stratégie d’autant plus cynique que pour reprendre les termes du chercheur David Camroux, « En 1939, la Birmanie était le plus grand exportateur de riz au monde, aussi riche que la Thaïlande. Ses hôpitaux, ses médecins étaient les plus réputés du sous-continent. Aujourd’hui, la Thaïlande est cinq fois plus riche. Les Birmans avaient les meilleures universités de l’Asie du Sud-Est. Mais soixante ans de régime militaire ont tout ruiné. On a sacrifié deux générations de jeunes ! ».
Il convient également de rester attentif à la façon dont agiront l’Union européenne vis à vis de son commerce préférentiel avec la Birmanie, tout comme ses alliés chinois, thaïlandais et vietnamiens.
En second lieu, tous les moyens doivent être mis en œuvre pour ne pas soutenir, même indirectement la junte militaire. Ce n’est qu’un premier pas, mais la résolution du 18 juin appelle les Nations Unies a empêché l’afflux d’armes en Birmanie. Espérons que cela se révèle plus efficace que le précédent appel concernant la Libye…
Surtout, je m’interroge sur le rôle joué par certains grands groupes, notamment états-uniens et français. Si l’enquête parue dans le Monde en mai dernier n’était ne serait-ce que partiellement vraie, nous serions face à un véritable scandale.
Ainsi, le géant pétrolier français, qui exploite depuis 1998 le gisement gazier de Yadana serait au cœur d’un système où des centaines de millions de dollars seraient détournés de l’État birman vers le géant gazier birman contrôlé par l’armée. D’ailleurs, Total et ce groupe, la MOGE, sont propriétaires avec une entreprise thaïlandaise de la pipeline et de l’exploitation.
La décision de Total, prise sous la pression de nombreuses ONG, de suspendre ses versements aux actionnaires de l’entreprise birmane n’est qu’une micro-réponse à un gigantesque problème. Comme le relevait John Sifton de l’ONG Human Rights Watch, cette mesure isolée est « insignifiante d’un point de vue économique » et n’entraînera « pas de changement de comportement de la junte ». Dit autrement, le groupe français continue à alimenter économiquement ceux qui mènent la lutte contre le coup d’État.
En troisième et dernier lieu, il est nécessaire de déjà penser à l’avenir. On voit bien que malgré ce qui ressemblait à un accord des deux grandes forces politiques du pays pour la libéralisation du pays, cette dernière restait fragile.
La Birmanie, avant même le 1er février, était un pays fortement divisé et en proie aux conflits internes. Politiquement comme je l’évoquais, mais aussi entre ses différents groupes de population.
Nous devons espérer un retour des instances démocratiques légitimement élues. Mais ce simple retour ne saurait suffire. Malgré le dialogue interethnique initié au printemps 2016, on ne peut pas effacer des décennies de tensions entre les différentes communautés. Les massacres et la déportation de presque 700 000 rohingyas, perpétrés par des militaires et des séparatistes bouddhistes et non-empêchés par le parti au pouvoir rappellent que nous n’aurons jamais de stabilité birmane sans pacification des relations.
La Birmanie, et en premier lieu certaines de ses minorités, paient encore aujourd’hui le tribut de décennies de stratégie cynique des britanniques lorsqu’ils occupaient le pays.
La France, entre autres, devra soutenir dès que possible l’initiative de la Procureure de la cour pénale internationale en vue d’établir clairement les responsabilités dans les exactions de 2017. Un dialogue interethnique, sous l’égide de l’ONU, pourrait s’avérer une piste sérieuse afin de résoudre ce conflit.
Toutefois, tout ceci ne peut être corrélé qu’à un retour des instances légitimement élues en novembre 2020, aujourd’hui condamnées au silence ou la clandestinité.