À la tribune

Projet de loi autorisant la ratification de l'accord modifiant le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité

"Il faut substituer au Mécanisme européen de stabilité un mécanisme européen de solidarité" : Eric Bocquet prononce l’intervention générale

Jeudi 28 octobre, les sénateurs débattaient du Projet de loi autorisant la ratification de l’accord modifiant le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité.

Eric Bocquet, pour le groupe CRCE, a prononcé l’intervention générale sur ce texte.

Lire le texte de l’intervention

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Le Mécanisme Européen de Stabilité, un outil créé l’Union européenne, fut dévoyé en fait dès sa création. Loin de prôner l’entraide entre les États ayant l’Euro pour partage, et les aidant ainsi à sortir du joug des marchés financiers, il s’est avéré être une réponse inadaptée aux constats posés à la suite de la crise financière et bancaire de 2008.

Les modifications introduites par l’accord qui nous est soumis n’y changeront rien : les marchés financiers seront les grands bénéficiaires de ce texte, loin des ambitions du discours de la Sorbonne prononcé par le Président de la République.

La création du « filet de sécurité » vient entériner en fait l’impuissance du Fonds de résolution unique, abondé par les banques elles-mêmes pour pallier une crise bancaire. 75 milliards d’euros sont attendus pour 2024, soit 1% des dépôts bancaires couverts, c’est largement insuffisant.

Pour cette raison, les États-membres devraient engager leurs finances publiques via des prêts, sauver les banques qui s’adonnent à des pratiques spéculatives et trop souvent déraisonnables. « Cela ne coûtera rien aux États-membres » a-t-on entendu en commission. Peut-être ; mais aucune modalité de remboursement par les banques n’est prévue dans cet accord. On abondera de 68 milliards sans savoir comment les récupérer. On négociera une fois la crise venue, dans l’urgence, avec l’éternel dogme mentionné par les ministres des finances européens, les banques sont « too big to fail », elles ont droit à l’aléa moral, au soutien public.

De plus, l’argument de la neutralité budgétaire risque de s’effondrer devant une crise systémique financière et bancaire dont les mesures prudentielles ne sauraient être suffisantes pour l’éviter. La facture sera probablement plus salée. 68 milliards, c’est moins que l’intervention de la France auprès de ses banques pour 80 milliards via la Société de financement de l’économie, plus les 77 milliards de prêts. C’est également très loin des 400 milliards de prêts interbancaires garantis par l’Allemagne.

Le prétendu assouplissement d’un « nouvel instrument d’assistance financière de précaution » est un leurre. La suppression du Memorandum, document d’engagement à des réformes structurelles, n’y changera rien. La liste des attentes austéritaires est longue. Les États bénéficiaires devront toujours respecter le TSCG ; adresser une lettre d’intention « évaluée par la Commission européenne » ; subir le renforcement très dur des critères d’éligibilité définis à l’annexe III de l’accord sur le MES.

Voyons donc l’absurdité de cet argument pour le moins paradoxal : la France ne pourrait pas bénéficier de cette procédure, soi-disant plus souple et la moins « stigmatisante », et ce même dans sa forme « allégée » par le présent accord, car nos finances publiques ne respecteraient pas les critères. Dans le même temps, elle serait capable de financer 20% des 620 milliards d’euros pour sauver un autre État membre.

Il est impératif de substituer au mécanisme européen de stabilité un mécanisme européen de solidarité, au service des États bénéficiaires et des peuples européens.

Et pour cause, le principal Etat bénéficiaire fut la Grèce, 84% des aides octroyées par le MES, soit 259 milliards d’euros. C’est l’heure du bilan, pour ce simulacre d’aide, anti démocratique de surcroit, sans vote des parlements nationaux. Le quotidien Les Echos dressait un bien sombre bilan le 20 août dernier à propos de la Grèce : « une cure d’austérité au coût économique et social élevé ».

Sur la période 2008-2017 :

  • Le PIB avait diminué d’un cinquième, soit 50 milliards d’euros ;
  • Le taux de chômage était toujours à 20% ;
  • La dette publique avait augmenté de 70 points à 178% ; aujourd’hui, elle s’établit à 205% ;
  • Une TVA à 24 % ;
  • Le salaire moyen par habitant avait perdu 22 points, soit 5000 € par an, avec un niveau de vie plus de deux fois inférieur à celui la France encore aujourd’hui, tout juste au-dessus de la Bulgarie et la Roumanie. 300 000 jeunes Grecs ont émigré.

Comment dire que le mécanisme européen de stabilité est une œuvre de solidarité ?

La rigueur qui s’est abattue sur la Grèce doit nous inspirer davantage de consistance lorsque que l’on tente de le réformer au risque d’engendrer demain de nouveaux drames humains, sociaux et économiques.

Le MES, qu’est-ce que c’est ?

Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a déposé le 28 juillet 2021 un projet de loi autorisant la ratification de l’accord modifiant le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité.

Le mécanisme européen de stabilité (MES) est un fonds commun de créance qui a pour objectif de préserver la stabilité de la zone euro, et de faire face à une éventuelle défaillance d’un membre de la zone.

L’objectif de l’accord est de développer le MES afin de renforcer la résilience de la zone euro et le cadre de gestion des crises. La révision vise notamment à réduire les risques de cercles vicieux entre crises financières et crises de dettes souveraines. Elle vise ainsi à :

  • améliorer l’efficacité des instruments de précaution destinés aux États de la zone euro ;
  • créer un filet de sécurité au Fonds de résolution unique ;
  • renforcer l’indépendance du MES ;
  • inscrire une nouvelle règle de vote entourant les cas de restructuration.
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