À la tribune

Intervention générale sur la PPL et la PPLO Protection des lanceurs d'alerte

Il faut protéger les lanceurs d’alerte, ces véritables marqueurs démocratiques

Jeudi 20 janvier 2022, le Sénat débattait sur une Proposition de loi et une proposition de loi organique visant à assurer la Protection des lanceurs d’alerte, adoptées à l’Assemblée Nationale.

Jugeant les modifications apportées par le Sénat insuffisantes, le Groupe CRCE, par la voix d’Eric Bocquet, aura voté contre.

Les deux textes ont été adoptés à l’issue des débats.

C’est Eric Bocquet, très engagé auprès des lanceurs d’alerte depuis de nombreuses années, qui a prononcé l’intervention générale sur ces deux textes au nom du groupe CRCE.

Lire le texte de l’intervention

Monsieur le Président,
Madame la ministre,
Mes chers collègues,

Depuis plusieurs années, la protection des lanceurs d’alerte est devenue, pour nos sociétés, un véritable marqueur démocratique, soulevant la question des droits fondamentaux que sont la liberté d’expression d’une part et la liberté d’information d’autre part.

Au-delà de l’impact du signalement, se pose la problématique des conséquences auxquelles nos concitoyens et concitoyennes s’exposent en lançant l’alerte, et donc de la protection que la société doit leur apporter.

Si la loi du 9 décembre 2016, dite « Sapin II », a marqué un certain progrès dans la protection des lanceurs d’alerte, elle doit, à l’occasion de la transposition de la directive européenne du 25 septembre 2019, être renforcée et tirer toutes les conséquences de l’évolution du droit et des travaux européens, pour créer un cadre commun de protection des lanceurs d’alerte.

La proposition de loi Waserman, adoptée à l’unanimité, il faut le souligner dans la période, à l’Assemblée nationale le 17 novembre dernier, répond pour nous dans sa version initiale à cette ambition en allant même au-delà, sur les points suivants :

  • la définition étendue des lanceurs d’alerte,
  • la clarification des canaux internes et externes permettant de lancer l’alerte,
  • le renforcement conséquent de la protection des lanceurs d’alerte avec des sanctions pénales et/ou civiles contre les responsables de procédures abusives,
  • ou encore la meilleure reconnaissance des facilitateurs qui accompagnent dans cette démarche les lanceurs d’alerte.

Autant de mesures ambitieuses et à même de créer un environnement cohérent et équilibré à vocation à devenir un cadre de référence au niveau européen pour la protection des lanceurs d’alerte. Donc unanimité à l’Assemblée et satisfaction des lanceurs d’alerte eux-mêmes. C’est ce qui nous a amenés à être surpris de l’évolution du texte en commission des lois au Sénat, qui a abouti, dans un premier temps, à une réécriture complètement à contre-courant.

Certaines propositions de Madame la rapporteure au Sénat – de manière tout à fait surprenantes - ont ouvert la voie à des régressions extrêmement inquiétantes, notamment dénoncées par Transparency International France et la Maison des lanceurs d’alerte (qui regroupe 17 organisations, syndicats et associations), ainsi que nombre de nos concitoyens qui n’ont eu de cesse d’alerter les élus.

Ainsi, la commission des lois a réécrit dans un premier temps la définition des lanceurs d’alerte, en supprimant la notion de « menace ou préjudice pour l’intérêt général ». Cette modification était d’une particulière gravité car elle visait à remettre en cause l’avancée démocratique la plus forte de la loi Sapin 2, qui prévoyait la protection des lanceurs d’alerte non seulement lorsqu’ils dénoncent une violation de la loi dans un cadre professionnel, mais aussi quand il relève un fait qui constitue un « préjudice pour l’intérêt général ». Alors que la loi Waserman étendait cette définition en supprimant la notion ambigüe de désintéressement. Votre position a semble-t-il évolué, c’est une bonne chose.

Autre coup porté au texte de la commission : le contournement de l’obligation de mettre en place une ligne d’alerte interne dans chaque société.

Sans parler de la suppression du référé-liberté de plein droit pour les agents publics lanceurs d’alerte, ou de l’abaissement de l’irresponsabilité pénale.

Aussi, comme l’expriment dans un communiqué commun la Maison des lanceurs d’alerte et une trentaine d’organisations dont Transparency International, Greenpeace et France Nature Environnement, nous y voyons également pour notre part une régression de nature à nous inquiéter.

Avec une telle définition des lanceurs d’alerte, Antoine Deltour, qui a révélé l’optimisation fiscale agressive des multinationales à travers les « LuxLeaks », se serait vu refuser toute protection.

De la même manière, comme l’explique le Président de la Commission nationale de déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (le Professeur Denis Zmirou-Navier) , je cite : « réduire l’alerte aux violations du droit n’aurait pas permis de donner un statut de lanceur d’alerte protégé contre les menaces et les atteintes à leur réputation professionnelle aux chercheurs qui ont révélé depuis plus de vingt ans les effets nocifs des insecticides de la famille des néonicotinoïdes sur les insectes pollinisateurs. »

Pourtant nous le savons, nos concitoyens sont désireux d’une plus grande transparence sur tous ces sujets. Il s’agit là du monde nouveau dans lequel nous vivons, où la lutte et le combat contre ce qui porte atteinte à l’intérêt général n’est plus l’apanage de certains mais bien le droit de toutes et tous.

Pour toutes ces raisons -et malgré les quelques bonnes mesures introduites par la commission des lois, nous voterons contre le texte en l’état, en comptant beaucoup sur le débat, les contributions des uns et des autres pour restaurer le texte de l’Assemblée Nationale et l’améliorer.

En parallèle, nous voterons pour la proposition de loi organique qui permettra l’accompagnement des lanceurs d’alerte par le défenseur des droits.

Comment notre Sénat, si soucieux de la défense des libertés fondamentales, pourrait-il voter un texte de régression ?

Je vous remercie.


Sur ce texte, Eric Bocquet a ensuite défendu plusieurs amendements, dont l’amendement 26, portant sur la garantie de protection des facilitateurs, qui aident les lanceurs d’alerte dans le processus de signalement.

Lire le texte de la défense d’amendement

Nous parlons de la directive européenne donc et de sa transposition.
Or, cette directive européenne prévoit dans les articles 5 et 8, la protection des facilitateurs, définis comme, je cite : « une personne physique qui aide un auteur de signalement, ou au cours du processus de signalement, dans un contexte professionnel et dont l’aide devrait être confidentielle ».

Or, l’exposition juridique qui a été évoquée est très concrète, elle n’est pas virtuelle, ça peut aller du refus d’agrément – une association comme ANTICOR y a été confrontée - , la baisse des subventions, les procédures baillons, Greenpeace et Sherpa les ont subies, et parfois même des poursuites pénales.

Nous pensons donc qu’il y a lieu pour ces personnes morales de continuer à pouvoir assister les lanceurs d’alerte. Une protection adéquate doit donc leur être accordée.


C’est ensuite l’amendement 30 qui a été défendu par Eric Bocquet, portant sur le statut de lanceur d’alerte pour les sources dont l’identité a été révélée.
Il a été adopté.

Lire la défense de l’amendement 30.

Un amendement qui permet de renforcer, conformément à la directive de 2019, la protection des sources en permettant à des sources de journalistes, ayant vu leur identité révélée, tel que Raphaël Halet, d’obtenir le statut de lanceur d’alerte.

Raphaël Halet, vous vous souvenez, se bat depuis 7 ans. C’est un ancien employé de PWC au Luxembourg qui a révélé les schémas permettant d’échapper à l’impôt pour les multinationales. Son affaire sera examinée par la Cour européenne des droits de l’homme le 2 février prochain.

Il s’agit ici de liberté d’expression, à laquelle on oppose le secret des affaires, même quand les affaires sont illicites.


Eric Bocquet s’est ensuite exprimé sur l’amendement 36 rectifié, visant à accorder le statut de salarié protégé aux personnes en charge des signalements dans les entreprises.

Il a pu évoquer à cette occasion le cas du lanceur d’alerte Nicolas Forissier.

Cet amendement n’a pas été adopté.

Lire le texte de la défense d’amendement

Pour, à ce stade, illustrer concrètement le débat que nous avons sur le statut des référents lanceurs d’alerte au sein des entreprises, je voudrais citer un cas particulier.

Vous savez que la banque UBS a été condamnée le 13 décembre dernier à 1,8 milliard d’euros d’amende pour pratique illicite de démarchage en bande organisée, et ces faits ont été signalés par l’auditeur interne de la banque dès 2008, Nicolas Forissier, je le nomme avec son autorisation.

Il a signalé à l’interne les pratiques de la banque le 4 juillet 2008, sans résultat. Seconde alerte le 12 décembre 2008, signalement également à la CPR, à TRACFIN. Entre temps, monsieur Forissier a été licencié en octobre 2009, je cite, « pour avoir dénoncé de manière mensongère et réitérée l’existence d’un système de fraude fiscale et de comptabilité parallèle ».

Tous ces faits ont été reconnus par la Justice, la banque a été condamnée. Entre temps, la CPR a été alertée en 2010, TRACFIN également. Ils ont reçu ces lanceurs d’alerte, Monsieur Forissier et son collègue Serge Huss le 20 mars 2009.

Justice saisie en 2011, condamnée 10 ans plus tard. Evidemment nous étions avant la loi Sapin, nous étions avant cette directive européenne, mais c’est pour vous dire le caractère indispensable de cet outil au sein de l’entreprise pour obtenir des résultats.


Jugeant les modifications, apportées par le Sénat à ce texte important, insuffisantes, le Groupe CRCE, par la voix d’Eric Bocquet, a voté contre.

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