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Table ronde Humanité : Eric Bocquet s’exprime sur la lutte contre la fraude fiscale

Dans le journal L’Humanité du vendredi 7 mai 2021, Eric Bocquet participe à une table ronde dont le sujet est "Un conseil de défense pour la justice fiscale ?".

Vous pouvez découvrir les extraits de son interview ci-dessous, et l’article en intégralité en cliquant ici.

La lutte contre la fraude fiscale semble être "sortie des radars" du débat public et médiatique. Pourquoi ?

Le Président de la République actuel et son gouvernement n’ont jamais fait de la lutte contre l’évasion fiscale un enjeu fort. Ce n’est pas la loi Darmanin anti-fraude qui infirme ce constat. On a fait beaucoup de mousse autour de la création de la police fiscale et de l’exploitation des données numériques mais, dans le même temps, les suppressions de postes se poursuivent au sein de l’administration fiscale.

Mais cette loi, par exemple, institue le principe du « plaider-coupable », c’est grâce à cette doctrine qu’une multinationale, Google, qui aurait dû payer 7 milliards d’euros au fisc français, s’en sort, après négociations et procédures judiciaires, avec un chèque de 800 millions, une procédure qui lui permet d’échapper à un procès.

Il n’y a pas de réelle pénalisation de la fraude fiscale, Patrick Balkany s’en sort aujourd’hui avec un bracelet électronique, « assigné à résidence » dans sa belle propriété de Giverny.

Comment comprendre cet incroyable silence du gouvernement et des médias au moment des révélations « OpenLux » menées par la presse ? Nous apprenions que le Luxembourg hébergeait 55 000 sociétés offshore totalisant 6 500 milliards d’actifs ! Aucun commentaire de la Commission de Bruxelles ni de Bercy à ce propos au moment même où le gouvernement et Bruxelles s’apprêtent à présenter la future dette COVID aux peuples ! Il n’y a pas de véritable volonté politique de s’attaquer au problème.

Quelles mesures engager pour mener une véritable action dans le domaine de la justice fiscale plus généralement ?

Il n’y a aucune fatalité à cette situation. Ce sont les marchés financiers et ses acteurs qui imposent leurs règles fiscales. Le « Politique », au nom de l’intérêt général, doit reprendre les affaires en main. La France devrait d’abord porter au sein de l’Union européenne ce combat, l’évasion fiscale coûte chaque année 1 000 milliards d’euros aux États.

Il faut mettre fin à cette règle sclérosante de l’unanimité au sein de l’UE sur les sujets fiscaux. Il faut établir une liste crédible des paradis fiscaux mondiaux, y compris ceux qui se trouvent au sein de l’Union européenne. Comment tolérer plus longtemps les pratiques des Pays-Bas, du Luxembourg ou de Malte ?

Il y a quelques jours, la France travaillait à atténuer la portée d’une Directive visant à imposer la transparence financière aux multinationales, il y a là véritablement double langage de la part du gouvernement. Au niveau européen, il est urgent d’ouvrir le chantier de l’harmonisation fiscale, il faut mettre fin au concept de concurrence libre et non faussée inscrite au coeur des Traités européens.

Enfin, notre pays effectuerait un grand pas en instaurant le prélèvement à la source pour les grands groupes à l’instar de ce qui s’est fait pour les particuliers. Cette proposition fut portée par le groupe communiste à l’Assemblée nationale, il y a quelques mois. Elle est toujours d’actualité.

Les initiatives de la nouvelle administration étasunienne à ce propos marquent-t-elle un tournant dont la France et l’Europe pourrait s’inspirer ?

A l’évidence, les récentes annonces de l’administration Biden peuvent constituer un point d’appui très intéressant pour mener ces combats à l’échelon international.

Sans être le « grand soir fiscal », elles marquent un tournant clair par rapport à la doctrine en vigueur ces 40 dernières années au pays de l’Oncle Sam.

Imposer une taxation minimale de 21% aux multinationales, quel que soit leur lieu d’implantation est un pas significatif.

Les grands groupes du numérique, grands gagnants de la pandémie, sont dans le viseur du fisc américain. Le poids de l’économie américaine peut être un atout. Ces mesures ont d’abord une portée nationale aux États-Unis mais, pour autant, l’Europe et la France en tête devrait s’en saisir.

La pandémie en cours a tout bousculé, même les certitudes du libéralisme. L’heure est véritablement à la construction d’une société alternative assise sur la justice fiscale. Un Conseil de Défense, citoyen, pourrait y contribuer ! Le PCF devrait enfin porter cette idée de tenir une COP de la fiscalité pour la justice sociale.

Une idée reprise par l’Assemblée nationale, le Conseil Economique, Social et Environnemental ainsi que par plusieurs ONG. Sa feuille de route serait une remise à plat complète de la finance mondiale au profit de l’économie réelle. C’est l’affaire de toutes et tous.

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