À la tribune

Loi Immigration, Droit d’asile et Intégration : la Présidente du groupe CRCE s’exprime à la tribune

Ce mardi 26 juin 2018, le Sénat a soumis le projet de loi Immigration, droit d’asile et intégrale à un vote solennel, en présence de tous les sénateurs.

Avant ce vote, chaque groupe politique était invité à s’exprimer pour expliquer son choix. C’est Eliane Assassi, en tant que Président du groupe CRCE, qui a prononcé un discours au nom des sénateurs du groupe auquel appartiennent Michelle Gréaume et Eric Bocquet.


La presse en a parlé

Le journal Médiapart a consacré un article à cette loi, dans lequel Eric Bocquet a été interrogé :

« Expulser pour mieux accueillir » : LREM et LR dans la surenchère au Sénat

26 JUIN 2018 PAR PASCALE PASCARIELLO

Le Sénat a voté, mardi 26 juin, le projet de loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ». La nouvelle version, réécrite par la commission des lois et portée par la majorité sénatoriale LR, durcit le texte du gouvernement sans en trahir l’état d’esprit : restreindre les droits des migrants. Retour sur une semaine de débats.

« De l’air, de l’air, ouvrez les frontières », « Stop à l’enfermement des enfants  ». Mardi 19 juin, devant le Sénat, plusieurs associations d’aide aux migrants manifestent, dont La Cimade, le Réseau éducation sans frontières et le Gisti. Des magistrats, des avocats mais aussi – plus inhabituel – des policiers dénoncent le texte du gouvernement sur l’asile et l’immigration. Pour Anthony Caillé, de la CGT Police, ce projet de loi « criminalise et pénalise les migrants. La logique comptable et répressive de ce texte est inacceptable. C’est tout simplement le code de la honte ».

À l’intérieur du palais du Luxembourg, la honte ne semble pas de mise. Dès l’ouverture des débats, François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois et sénateur LR, félicite le gouvernement d’avoir proposé des « adaptations bien vues sur la lutte contre l’immigration » tout en insistant sur le durcissement du texte par la majorité sénatoriale, garant selon le rapporteur d’un meilleur accueil.

Malgré de nombreux amendements, les intentions des sénateurs LR et celles du gouvernement se rejoignent sur cette dialectique. Comme l’explique d’ailleurs François Patriat, président du groupe LREM au Sénat et ancien ministre dans le gouvernement de Lionel Jospin : « Nous devons mieux expulser pour mieux accueillir. » Cette formule tend à vouloir faire passer des mesures répressives pour certains migrants comme bénéfiques pour d’autres. François Patriat essaie de nous la résumer : « J’ai évidemment de l’émotion lorsque je vois le bateau Aquarius. Mais qui accepte d’accueillir tout le monde ? Nous devons faire des choix et distinguer l’immigration économique. Ce projet de loi n’est pas seulement un message qu’on lance à l’opinion publique, c’est un moyen de pédagogie pour dire : regardez, nous maîtrisons les flux.  » Et François Patriat de conclure : « Vous pensez qu’ancien socialiste, je suis mal dans ma peau ? Être mieux que je ne le suis serait indécent ! » S’il le dit.

Alain Richard, ancien ministre de la défense, lui aussi passé du PS à LREM, nous livre une présentation plus claire du projet de loi du gouvernement : « Nous ne pouvons plus supporter l’immigration économique. Mais nous reconnaissons le titre de réfugié lorsqu’il est justifié. Cette distinction est nécessaire et équitable.  » Dans ce contexte, le terme « équitable » surprend. Nous l’interrogeons sur la présence d’entreprises françaises et de ressortissants installés pour des raisons économiques dans des pays dont on rejette les migrants. Alain Richard se crispe : « C’est dans l’intérêt national de ces pays qu’ils accueillent Total ou Bouygues, mais ce n’est pas dans le nôtre de les accueillir. C’est contraire à nos intérêts nationaux, qu’il s’agisse de personnes non qualifiées comme de personnes qualifiées. » Les intentions du gouvernement se clarifient.
Pierre Charon, sénateur LR, n’y va pas par quatre chemins : « C’est simple, 10 millions de personnes ont voté pour Le Pen. Ne pas en tenir compte, c’est irresponsable. Avec ce projet dont le texte initial était déjà relativement dur, le gouvernement a décidé de regagner un électorat qui part vers le Rassemblement national. Nous devons devancer le souhait des Français pour éviter qu’ils votent comme des cons aux futures élections. C’est ce qu’a réussi à faire Sarkozy en 2007, en mettant à poil Le Pen. »

La majorité LR a donc ressorti ses bonnes vieilles méthodes. « Nous avons remis nos amendements historiques, adoptés par la commission des lois et votés par la majorité que nous formons au Sénat  », explique Roger Karoutchi, sénateur LR. « Il y a notamment les quotas, c’est-à-dire définir au Parlement, chaque année, des objectifs chiffrés et des indicateurs en matière de flux d’entrée, de séjour et d’éloignement. Autre disposition qui me tient à cœur : la suppression de l’aide médicale d’État, remplacée par une aide médicale d’urgence  », réduite à des maladies graves ou douloureuses.

Parmi les autres mesures votées : la restriction du regroupement familial avec l’allongement de la durée de séjour minimum du demandeur (24 mois au lieu de 18 mois). Contrairement au projet de loi initial du gouvernement, le regroupement familial n’est plus rendu possible pour les frères et sœurs d’un mineur réfugié.

Le texte qui ressort du Sénat prévoit de réduire la délivrance des visas à l’égard des pays qui ne seraient pas assez coopératifs pour remettre des laissez-passer consulaires, nécessaires lors de l’expulsion des étrangers en situation irrégulière.

Le Sénat a également adopté la création d’un fichier biométrique pour les mineurs isolés déclarés majeurs après une procédure d’évaluation confiée aux départements. Cette procédure repose en partie sur des examens radiologiques, tests osseux, dont la fiabilité est largement contestée. L’objectif est de faire sortir ces jeunes mineurs isolés de la protection de l’enfance que les départements ne veulent plus assurer.

Cette proposition n’est pas nouvelle. À la demande du premier ministre, un rapport, rendu en janvier et conduit notamment par l’inspection générale de l’administration et l’Assemblée des départements de France, recommandait déjà un tel fichier. Idée reprise par Christophe Blanchet, député LREM, et adoptée par les sénateurs LR. « Il faudrait enfermer les mineurs isolés dans des centres pour les protéger et protéger la population. Des centres de protection fermés. C’est l’intérêt français. On pourrait les vacciner, les soigner et prendre leurs empreintes.  » Sébastien Meurant, sénateur LR, poursuit : « Il faut faire le tri, enfin il faut choisir qui rentre en France. »

La droite sénatoriale se targue d’avoir apporté quelques assouplissements au projet de loi du gouvernement. Elle a voulu donner « une leçon d’humanisme au gouvernement  », pour reprendre l’expression d’un sénateur LR, membre de la commission des lois. À la marge et symboliquement. Un volet sur l’intégration a été ajouté, par exemple, au projet de loi. Les sénateurs républicains sont revenus sur la réduction des délais de recours pour les personnes déboutées en première instance, rétablis à 30 jours au lieu des 15. Ils ont revu – légèrement – à la baisse le temps de rétention dans les centres, qui n’excédera pas 90 jours (contre 135 dans le texte initial), 45 jours devant être la règle.

Enfin, le texte voté limite à 5 jours la rétention des mineurs accompagnés de leurs parents. Faussement protectrice, cette mesure rend surtout possible l’enfermement des mineurs. La sénatrice Laurence Cohen (PC) estime que « restreindre le placement des mineurs en rétention accompagnés de leur famille ne protégera pas les enfants mais contribuera à banaliser cette pratique ». Marie-Pierre de La Gontrie (PS) regrette, quant à elle, « de considérer que le texte de la commission des lois est un progrès, ce qu’il est effectivement par rapport au texte du gouvernement. Ce n’en est pas moins un renoncement : nous transigeons sur un principe. (…) Nous n’avons pas su empêcher la rétention des mineurs ».

« Ce ne sont pas des mineurs, ce sont des enfants »

Les groupes socialiste et communiste ont voté contre le texte de la majorité sénatoriale. Tout comme les sénateurs LREM. Pour des raisons, évidemment, bien différentes.

Sur la suppression de l’aide médicale d’État, par exemple, lorsque les communistes s’inquiètent de la restriction des droits octroyés aux migrants, le ministre de l’intérieur invoque le risque de « favoriser les contagions et d’augmenter le coût des soins ».

Alors que la majorité des sénateurs PS souhaite l’interdiction de l’enfermement pour tous les mineurs, le ministre de l’intérieur considère qu’avec une telle mesure, « tous les mineurs isolés pourraient entrer sur le territoire français ». La question des mineurs cristallise d’ailleurs les dérives vers lesquelles a conduit le projet de loi du gouvernement. Lors des débats, Guillaume Gontard, sénateur (CRCE), fait part de son désarroi : « Jeune élu, jamais je n’aurais cru devoir discuter dans cet hémicycle pour savoir s’il fallait ou non enfermer des mineurs. Ce ne sont pas des mineurs, ce sont des enfants. J’ai des enfants, vous en avez sans doute : vous demandez-vous en les regardant dans les yeux s’il faut les enfermer ?  » Et se tournant vers le ministre de l’intérieur : « Monsieur Collomb, vous avez été maire de Lyon, la ville des Justes. Souvenez-vous-en ! »

Gérard Collomb s’insurge et lance alors : « Vous n’avez aucune dignité, monsieur !  » Étrange conception de la dignité.

Ce nouveau texte a, néanmoins, une espérance de vie réduite. Il doit repasser devant la commission mixte paritaire, prévue le 4 juillet. Si les négociations n’aboutissent pas, son détricotage se fera à l’Assemblée nationale avant de revenir au Sénat.

À l’issue de cette semaine de débats, force est de constater que le gouvernement et Les Républicains affichent leur volonté commune d’une plus grande fermeté à l’égard des migrants. Le discours des uns rejoint celui des autres, et inversement. Lorsque Gérard Collomb, ministre de l’intérieur, parle de « submersion », Sébastien Meurant, sénateur LR, utilise l’expression « d’afflux incontrôlés et massifs ». La surenchère est ouverte.

Roger Karoutchi, sénateur LR, défend une politique de fermeté pour reconquérir des Français apeurés : « Autriche, Hongrie, Slovaquie : voulons-nous être le prochain ? (…) Notre responsabilité est d’abord envers le peuple français, dans sa diversité sociale et la diversité de ses origines. Pas d’illusions, les fractures sociales seront d’autant plus fortes que nous ne serons pas maîtres de la situation et je ne veux pas que la France soit l’Autriche. » En écho, Gérard Collomb poursuit sur la même voie : « Nous tenons à la distinction entre les réfugiés, qui fuient une menace, et les migrants économiques. La population de l’Afrique passera de 1,2 milliard à plus de 2 milliards d’ici 2050 ! Illusoire de penser qu’ils pourront être accueillis en Europe. (…) Quand les citoyens désespèrent, l’on voit comment ils se prononcent. (…) Je vous appelle à voter notre texte. Sinon, les Français, exaspérés, nous le reprocheront. »

Philippe Bas, sénateur LR, président de la commission des lois, résume ainsi la situation : « Lorsque Gérard Collomb dit au Sénat que les migrants font du benchmarking et choisissent les législations des pays européens les plus souples, il donne le ton de fermeté qui est celui de son projet. Nous avons donné au gouvernement les moyens de sa politique. Nous avons fait gagner le texte en densité et en intensité. Nous l’avons musclé. Les intentions du projet de loi du gouvernement sont bonnes, mais il ne s’est pas donné les moyens de l’efficacité. Le Sénat les lui a donnés. »

« Emmanuel Macron disait son parti LREM ni droite ni gauche ? C’est surtout ni gauche ni gauche dans les faits. On le voit dans l’hémicycle, le gouvernement émet rarement un avis contraire aux Républicains. Sur le fond, ils sont d’accord », constate Éric Bocquet, sénateur communiste. « Mais c’est un jeu dangereux auxquels les LR et LREM se livrent. Il y a un ressentiment qui grandit parmi la population, que ce soit au niveau français, européen comme international, du fait de la dégradation des conditions économiques due à la gestion libérale, voire ultralibérale. Et pour défendre leur politique économique, ils instrumentalisent l’immigration, l’agitent comme un bouc émissaire. L’immigration permet en fait au libéralisme de perdurer. On joue avec cette peur. Vieille recette qui risque de faire gagner les extrêmes comme en Italie ou en Autriche. »

Jean-Yves Leconte, sénateur PS et membre de la commission des lois, n’hésite pas à qualifier Emmanuel Macron « d’Orbán en bas de soie ». Il nous en explique les raisons : « J’assume ce que j’ai dit. D’ailleurs, mon groupe a proposé de renommer ce projet : “projet de loi tendant à renier les engagements de la France en matière d’accueil des réfugiés et à restreindre le droit des étrangers et leur intégration”. Au-delà du manque de connaissance technique du gouvernement sur les questions migratoires, ce projet et les débats au Sénat ont permis de découvrir un nouveau visage d’Emmanuel Macron. Lorsque Collomb parle de submersion, Macron tourne le dos à l’Aquarius et propose des centres fermés sur le sol européen. Cette stratégie de lutter contre le FN en adoptant ses propres positions dure depuis près de 40 ans. C’est un échec et pourtant aucun parti n’est prêt à abandonner cette stratégie, stratégie adoptée également par le PS lorsqu’il était au pouvoir, en particulier avec Manuel Valls », concède Jean-Yves Leconte.

Ne souhaitant pas participer à cette surenchère, Richard Yung, sénateur LREM, s’est désolidarisé de son groupe, en tout cas sur le projet de loi sur l’immigration. « Je ne suis pas un frondeur, je soutiens le gouvernement mais pas son projet de loi sur l’immigration. J’approuve certaines mesures comme la carte de séjour de 1 à 4 ans, mais la majorité du texte ne me convient pas. Nous sommes 70 millions en France et nous octroyons le droit d’asile à près de 23 000 personnes par an. On est loin de la “submersion” dont parle Gérard Collomb. Ils ont peur du durcissement de l’opinion publique qui est réel, mais l’alimentent en parlant de submersion. Ce n’est pas la bonne solution. »

Sans surprise, le texte a été voté par la majorité sénatoriale LR et les centristes. La suite se décidera le 4 juillet lors de la commission mixte paritaire. «  Nous ne lâcherons pas sur certains amendements comme celui des mineurs ou la délivrance des visas conditionnée », prévient déjà François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois. «  Ce durcissement du projet de loi par les sénateurs va profiter au gouvernement. Il aura le beau rôle pour dire qu’il assouplit le texte des sénateurs LR tout en profitant de quelques mesures plus restrictives  », commente Richard Yung, sénateur LREM.

Retrouvez l’article de Médiapart en ligne sur leur site.

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