À la tribune

Débat dans l'hémicycle sur les partenariats entre la France et les pays africains

Rejet de la politique française en Afrique : le problème est profond, et la nécessité de changer de politique, urgente.

Mardi 21 novembre dans la soirée, le Sénat siégeait concernant une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur les partenariats renouvelés entre la France et les pays africains.

C’est Michelle Gréaume qui s’est exprimée dans ce débat au nom du groupe CRCE.

Lire le texte de l’intervention de Michelle Gréaume

Madame la Présidente,
Madame la Ministre, Monsieur le Ministre,
Mes cher.e.s collègues,

A l’occasion d’un précédent débat, notre groupe dénonçait les fondements de nos rapports économiques, politiques, monétaires, diplomatiques et militaires qui, de notre point de vue, entravent depuis des années le développement des pays africains.

Aujourd’hui, c’est la confiance même dans notre relation à l’Afrique qui est en jeu et mise en cause par ces rapports anachroniques, d’un autre temps, à mille lieux de tous les nouveaux enjeux du XXIème siècle.

Je pense au franc CFA, aux traités de libre échange ultralibéraux, et le fait que la France ne portait pas le fer contre le démantèlement des services publics et des embryons d’État social dans ces pays.

Je pense aussi à notre silence face à la course au moins-disant fiscal, au nivellement par le bas de la protection des travailleurs, aux politiques de prédation et de maxi-bénéfices des multinationales, dont certains groupes français comme Bolloré et Bouygues agissent en toute impunité avec la complicité d’élites locales corrompues.

Je pense bien évidemment à la persistance d’une logique néocoloniale de présence et d’interventions militaires, de moins en moins supportée notamment par les jeunesses africaines.
Nous ne sommes pas seuls à alerter à ce propos.

Soyons attentifs aux propos de Gérard Araud, ancien représentant permanent de la France au Conseil de Sécurité de l’ONU qui estime que nous devons : « Changer du tout au tout la forme de notre présence ». Malgré les alertes, les conseils, les propositions que nous avons nous-mêmes formulées depuis plusieurs années, force est de constater que la position et la vision de la France n’évoluent guère.

Depuis le coup d’État au Niger, la France persiste à faire les mêmes erreurs que celles déjà commises au Mali et au Burkina Faso, avec une politique faite de coups de menton, de sanctions et d’appui des velléités d’intervention militaire de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest.

Entendons-nous bien : nous condamnons ce coup d’État, à l’instar de nombreux démocrates africains, tout comme nous avons condamnés ceux perpétrés au Tchad, en Guinée et au Burkina. Mais engager un tel bras de fer, comme la France a pu le faire dans le passé au Burkina et au Mali, avec les pays les plus pauvres au monde, n’a conduit qu’à renforcer la popularité des putschistes notamment auprès de la population nigérienne.

Autrement dit, le rejet de la politique française en Afrique devient un levier pour qui veut asseoir son pouvoir. C’est dire si le problème est profond, et la nécessité de changer de politique, urgente.

Cette image dégradée n’aurait pour explication que l’influence malveillante d’autres puissances à notre égard. Si celle-ci est bien réelle, elle ne doit pas détourner notre regard sur nos propres responsabilités.

Les autorités françaises doivent tirer les leçons de ces différents échecs diplomatiques et adopter une politique humble et sans œillère sur la situation sahélienne.

Tendons une oreille attentive à l’aspiration des jeunesses africaines d’une deuxième indépendance, et respectons la volonté des États africains de diversifier leurs partenariats stratégiques.

Soit les autorités françaises tiennent compte de cette lame de fond, en nous efforçant de trouver notre place dans ce nouvel environnement, soit nous continuerons une politique empreinte de relents néocoloniaux.

La droite sénatoriale nous a montré lors des débats sur le projet de loi Immigration que nous sommes encore bien loin de cette prise de conscience. Lorsque celle-ci vote à l’unisson une mesure visant à conditionner l’aide au développement à la coopération en matière migratoire des Etats bénéficiaires, nous ouvrons la porte à une logique de punition collective, et par là même, couvrons de honte la France.
Pour entamer cette mue, notre groupe a formulé et continue de défendre ses nombreuses propositions.

D’abord, en soutenant une augmentation des recettes fiscales des pays africains, qui ne représentent qu’à peine la moitié des pays de l’OCDE. C’est pourquoi nous proposons de flécher 10% de l’Aide Public au Développement vers le soutien au renforcement des systèmes fiscaux de ces pays afin de leur donner, à terme, des moyens budgétaires pérennes pour relever les défis de développement et de changement climatique auxquels ils font face.

Plus globalement, il est nécessaire de revoir en profondeur la philosophie de notre aide, pour la tourner résolument vers la construction des bases solides d’un développement propre des pays destinataires et la dégager de toutes les logiques de pillage qui persistent encore largement. Sans doute conviendrait-il également de travailler en plus étroite relation avec les ONG présentes sur le terrain. Et efforçons-nous également d’octroyer plus de dons que de prêts, puisque ces pays sont dans l’incapacité de les rembourser.

Ce soutien à un développement de financements endogènes doit s’accompagner d’une révision des règles d’attribution des Droits de Tirage Spéciaux (DTS) du FMI. Cela doit passer par une réforme des conditions d’émission des DTS en vue de favoriser les critères de lutte contre la pauvreté et le financement à grande échelle de la transition économique et écologique du continent africain. Si nous n’allons pas en ce sens, soyons sûrs que les BRICS - Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud - seront actifs en ce domaine, et cela a d’ailleurs déjà commencé.

Agissons également en faveur d’une agroécologie vivrière qui a fait ses preuves plutôt que de soumettre les pays africains à des accords commerciaux qui déstructurent leurs filières agricoles et de pêche.
Œuvrons en faveur d’une industrialisation indispensable pour ces pays. Au cours des dernières décennies, les relations économiques ont maintenu chez les pays africains une économie de rente. Dans l’intérêt de nos pays, il faut rompre avec cela. En vue d’atteindre cet objectif, ne faudrait-il pas réfléchir à des mécanismes au niveau national, européen et international, favorisant une transformation des matières premières de ces pays sur place ?

Du point de vue énergétique, ne faudrait-il pas faire profiter les pays africains de notre savoir-faire ? Et ceci en matière nucléaire notamment, en étroite collaboration avec l’Agence Internationale de l’Energie Atomique.

Comment se fait-il que le Niger nous fournit depuis des décennies de l’uranium pour le fonctionnement de nos centrales nucléaires, sans que nous leur proposions en échange une expertise technique dans le lancement d’un programme nucléaire civil ? De plus en plus de dirigeants et de décideurs africains réfléchissent en ce sens, et si nous loupons le coche d’autres pays comme la Russie, l’Inde, le Canada et la Chine en saisiront l’opportunité. J’en appelle pour preuve les derniers accords passés avec des pays africains, dont la Centrafrique, le Burkina et le Rwanda.

Il est temps de changer de logique et engager une stratégie à long terme, basée sur la coopération et sur le soutien des choix endogènes de développement de ces pays. Il s’agit du seul moyen de réparer notre lien, avec ces pays et avec les peuples en présence.

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